De retour à Surabaya, nous profitons d’une nuit gratuite – payée par les miles de Brice – dans un hôtel confortable. Draps qui sentent bon, édredon moelleux, deux oreillers de plumes, de la moquette d’un pouce d’épaisseur sous nos pieds nus, un sèche-cheveux, du savon, 4 serviettes de bain de différentes tailles.
Le petit déj’ est on ne peut plus copieux, et fait notable, il y a du beurre et même des granulés de chocolat.Plus 1.6 kg de petit déjeuner d’anniversaire sur la balance pour Brice.
Bref, on se fait bien plaisir avant d’être rétrogradés dans notre croisière…
Le bateau qui est à quai sous nos yeux est immense. Jamais nous n’avions pris un vaisseau de ligne de cette taille. Huit ponts, une capacité d’un millier de couchages (plus encore de passagers lors des périodes de vacances). 4 classes : 1ère, 2ème, 3ème… et la nôtre : ekonomi. Le KM Tidar (le petit nom de notre paquebot) dessert Sulawesi, les Moluques et enfin la Papouasie à l’extrême orient indonésien. Il arrive de Jakarta et est donc déjà bien rempli… et nos deux couchettes sur le pont 3 sont déjà occupées… mmmmh, ça commence mal.
Ayant réservé nos places, nous étions loin de penser que c’était « chacun pour sa peau ».
En classe ekonomi, tout le monde dort les uns à côté des autres dans une promiscuité toute indonésienne. Si les matelas ne sont pas trop inconfortables, il fait très chaud dans ces grands dortoirs non climatisés, et plus on s’enfonce dans les entrailles du Tidar, plus on se rapproche du moteur, et plus on suffoque.Pas de chance pour nous donc, nos places sont déjà prise au pont 3 (dont les hublots à raz de l’eau ne laissent voir que le quai du port). Plus de places, il faut attendre que le crew ouvre le pont 2 encore trois mètres plus bas… c’est la cohue, tout le monde se presse les uns sur les autres…
Pendant ce temps, certains autres passagers parmi les moins fortunés choisissent d’étendre leur natte et de disposer leurs affaires à même le sol, dans les parties communes… climatisées. On ne sait pas trop à quelle sauce nous allons être mangés car le flot de passagers continue de se déverser dans le bâtiment le long de la frêle passerelle.
Nous finissons donc par abdiquer, nous n’avons pas la force de nous battre.
Bien heureusement pour nous, le hasard fait que nous retrouvons au port un pékin rencontré la veille, lors de l’achat de nos billets. Il a l’habitude de prendre cette ligne et bien que peu argenté, connait le bon plan pour ne pas rester dans la « cale » du bateau. On se trouve donc tous les trois au calme et au frais, dans un salon à la moquette partiellement gorgée d’eau, dans une légère odeur de moisie collant à l’atmosphère qui n’a pas changée depuis la fin des années 80, période de construction du bâtiment.
Nous sommes moyennement satisfaits de notre situation, mais c’est le mieux que l’on puisse avoir pour le moment. D’autant qu’un rapide passage par le pont 2, un peu plus tard, nous confortera dans notre bon choix. Pas de hublot pour ce dernier niveau dans les entrailles du Tidar, des dortoirs peu éclairés et une ambiance très masculine. Comme nous sommes sous le niveau de l’eau, tout le niveau est compartimenté avec la possibilité de les isoler par de puissantes portes étanches en cas d’entrée d’eau. Et on bien compris qu’en Indonésie, on a peu de scrupules avec les consignes de sécurité…
Non, ça ne nous plait pas trop, nous passerons donc nos nuits dans notre salon du pont 6 qui, bien qu’il ne sente pas la rose, n’est pas si loin des issues de secours.
Allez, ce n’est pas si grave, et nous nous relayons à tour de rôle pour surveiller les affaires et partons explorer cet immense vaisseau.
C’est un vrai labyrinthe de murs couleur crème, éclairés d’une lumière au néon jaune désuet, et où tout se ressemble. Les cages d’escaliers, les paliers, les couloirs desservants les cabines, la signalétique, la décoration, le mobilier du restaurant ou des paliers… Tout respire le vieillot… qui ne respire plus depuis bien longtemps. Pour de l’air frais, il faut trouver la sortie, ce qui n’est pas toujours aisé. Même les issues de secours sont parfois condamnées. Ouïlle, bien apprendre le plan d’évacuation*.
S’il y a quelques coursives sur les flancs du bateau, celles des ponts inférieurs sont majoritairement encombrées de colis. Seul le pont supérieur, permet d’avoir suffisamment de place pour évoluer et respirer l’air frais de la mer sur un délicieux parquet – quand il n’est pas luisant d’embrun ou battu par le vent. On se croirait dans Titanic.
The place to be du Tidar, celle qui s’avèrera la plus confortable une fois que l’on a fini de tourner en rond dans tout ce dédale de couloirs et de ponts, est la petite terrasse de l’Indomaret posé sur la poupe du bateau. Une poignée de tables, et quelques chaises, on en oublie qu’on est sur un vaisseau de la Pelni pour se rêver en croisière. Après tout, le ciel et la mer sont tout aussi bleu, quelque soit la classe dans laquelle on voyage.
Un autre hasard, encore plus heureux celui-ci, nous fera revoir Banbang, un passager de 1ère classe qui nous avait brièvement aidé lors de notre arrivée au port. On lui raconte notre condition, et celui-ci revient plus tard nous voir, accompagné de Sura, un vieil homme dont la cabine jouxte notre luxueux salon. Il voyage jusqu’à Makassar (l’étape précédent la nôtre) et nous propose d’occuper le lit disponible de sa cabine. Il s’excuse de la faible place que nous aurons pour tous les deux, mais bien que très gênés (de nous imposer et de laisser seul notre compagnon d’infortune) nous sommes heureux de pouvoir ranger nos affaires dans une pièce fermée, d’avoir une vraie couche confortable pour au moins une nuit, des toilettes et de l’eau chaude.
Ouf ! Nous sommes rassurés… et alors que nous papotions, l’appel du repas est lancé dans les haut-parleurs.
Bien entendu, nos billets ne nous autorisent qu’à nous sustenter dans les bas étages.
Et nous devrions faire la queue dans une joyeuse chaleur, celle du fond de la cale, mais aussi celle des rires et des cœurs indonésiens.
…mais à force de trop parler avec notre nouvel hôte, et de nous perdre dans les différents niveaux, nous arrivons trop tard pour recevoir notre plateau repas… enfin… si il n’est déjà normalement pas bien rempli, ce soir nous n’avons ni eau, ni jus de fruit en guise de dessert.
On comprendra plus tard que plus on arrive tôt, plus les bento sont remplis du sempiternel menu : un petit bout de poisson le soir, de poulet le midi, et un œuf dur le matin, une cuillère de choux et du riz).À la guerre comme à la guerre. Avec le contrôle de nos tickets lors de la réception de notre repas, le surveillant criant makan dua pour nos deux plateaux, on est proche du rationnement…
Nous nous régalons cependant de ce frugal plateau et nous réjouissons de ne pas nous en sortir si mal. On se dit qu’on a de la chance de toujours tomber sur les bonnes personnes.
Puis la corne de brume retentit. Et quelques minutes plus tard, le long vaisseau de ligne s’ébroue. La nuit est déjà tombée depuis quelques heures quand nous quittons finalement le port de Surabaya (avec quelques heures de retard*). Son anse est remplie de bateaux au mouillage et nous longeons pendant plusieurs minutes les quais éclairés.
Bye bye Surabaya, bye bye Java.
En route pour Sulawesi, 1250km et 48 heures de croisière.
Nous profitons d’une nuit confortable, fraiche et calme en première classe.
…et sommes réveillés au matin par l’annonce du petit déjeuner. Dommage, il n’y a pas grand-chose à faire sur le bateau et une ou deux heures de sommeil en plus n’auraient pas été de trop.
Il nous faudra remplir ces longues journées car le paysage de pleine mer est plutôt rébarbatif.
Nous papoterons principalement, et nous ferons d’éphémères compagnons de voyage – difficile de trouver le temps de bouquiner ou de travailler le blog dans ce pays où l’on est constamment pris à partie. Banbang, qui travaillait auparavant sur des bateaux de croisière, nous décroche l’autorisation de visiter la passerelle.
Il y a des privilèges à être bule.
Brice est ravi de voir les instruments, les leviers, les boutons, les compas, les radars et les nombreuses cartes de navigation. Marion trouve que tout en haut du bateau, ça bouge beaucoup…
La journée passe, on ne sait pas trop comment. Entre coca en terrasse (wouah !), croquis, plateaux repas, palabres et balades.
Les gens s’habituent à nous, l’ambiance est calme, et compte tenu de la taille du bateau, on ne ressent que très peu les vagues. Il semble glisser sur la mer pourtant pas si plane.
Nous accostons à Makassar vers une heure du matin. Il est temps pour nous de dire au revoir à notre coloc’ de première classe Sura, et de redescendre les 2 niveaux qui nous séparent de l’ekonomi.
Un compère de voyage, avec qui nous avions papoté dans la journée, nous a réservé des places, et à peine les gens ont-ils libéré leurs matelas, que nous posons nos affaires.Les portes sont toutes justes ouvertes, le bateau à quai, qu’un flot de porteurs envahit les étages, à la recherche de colis et autres valises à transborder.
Cela court partout, et ces fourmis porteuses montent et descendent de lourds et volumineux fardeaux.
Puis, dans un flux continu, le bateau se re-remplit de passagers, encore plus nombreux.
Les gens se ruent vers les couchettes libres et comme au départ de Surabaya, s’installent sur les ponts, à l’extérieur, dans les couloirs, dans les escaliers, sur les paliers.
À cette troupe s’ajoute les vendeurs ambulants qui profitent de l’arrêt transitoire du vaisseau pour écouler leur stock de pop-mie, de nasi goreng, ou simplement vendre des bouteilles d’eau à un prix plus décent.
Nous observons la scène, depuis nos matelas en skaï, contents d’avoir pu poser nos affaires avant la cohue.
C’est ici que nous allons passer notre prochaine nuit/journée.
On ne se sent pas si mal.
En plus de nos gentils compagnons de voyage ils sont si souriants ces Indonésiens, nous sommes plutôt bien accompagnés puisque toute une myriade de cafards fait le voyage avec nous. Si les grosses blattes d’un brun luisant et aux déplacements vifs ne se rencontrent que sur les ponts supérieurs (avec les rats et les souris), on trouve toute une colonie de plus petite taille qui grouillent dans les dortoirs*.
Il fait chaud, mais malgré la courte nuit, nous dormirons plutôt bien.
Et de nouveau, nous sommes réveillés par l’appel du petit dej’.
Et de nouveau, nous trouvons à nous occuper durant cette longue journée.
Il y a beaucoup plus de monde que la veille, notamment dans les étages populaires, et on réalise que la population a changé.
Ce bateau part rejoindre les îles reculées d’Indonésie. Ainsi, Bungis, Moluques, Papoues cohabitent avec les Javanais (il existe plusieurs centaines d’ethnies en Indonésie). On découvre de nouveaux faciès. Et, on rencontre notre premier Papou – on avoue que la Papouasie nous fait un peu rêver de par son exotisme et son éloignement. Le Tidar, c’est un concentré d’Indonésie que l’on ne reverra jamais à terre, des chrétiens, des musulmans, des hindous, des cheveux crépus, des yeux bridés, des gros nez, des peaux jaunes, brunes ou cokolat.
Le temps passe donc au rythme des rencontres plus ou moins profondes et intéressantes, et 18 heures sonnent lorsque nous approchons enfin de BauBau.
Nous avons changé d’heure, avons hâte de dégourdir nos jambes, et de ne plus manger de chou.
L’arrivée est aussi chaotique qu’à Makassar. Des porteurs, des passagers, des gros bagages, des cartons, des valises,…
Alors que nous sommes sur le quai, sur la terre ferme, nos compagnons de voyage nous crient au revoir depuis les coursives, avec de grands signes de mains.
Et peu de temps après avoir posé nos affaires dans une petite chambre non loin du port, la corne de brume retentit dans la nuit… le Tidar reprend la mer, navigant toujours plus vers l’Orient.
*This is Indonesia, comme dirait Banbang après que nous ayons croisé en pleine nuit, à moins de 50 mètres de distance et à vive allure, un autre bateau du même gabarit que le nôtre.
On a frôlé le désastre.
Le retour du preum’s, popopopo.
Frôlé le désastre, tu parles, je suis sûr que ça passait large, ce sont des bons pilotes c’est tout 🙂
Bises
avec le temps, vous nous rajoutez du suspens dans vos posts : « de la galère du sous-classement… à la nuit en 1ère »
en plus, on découvre que Marion a une sœur jumelle : vous auriez pu vous habillez avec des fringues différentes quand même : c’est troublant 🙂
Et vous n’avez pas dansé sur le bateau ? son nom « Let’s go to Banda naira » m’a fait penser à de la soul
et les croquis de la pleine mer, ça donne quoi alors ??
oui, mais moi j’avais piscine…
oh mon batoo ooo (private joke)
on a beau dire, même le temps de traverser jusqu’à belle-ile on s’ennuie toujours un peu en bateau
faisez gaffe
Ouf!
Pas d’iceberg rencontré.
Belle expérience!
Sympa toutes les tongs devant la porte. Vous en avez pas profite pour progresser a 2048?
…devant les portes… De la mosquée !
En Indonésie, il y a des salles de prière (musholah) dans les hôtels, les resto’, les gares… Et même sur les bateaux! On s’est juste demandé si le minrab était sur pivot ?!
Rien que la couleur des néons ça donne envie de vomir.
Expérience particulière j’imagine. Moi j’aurais direct perdu les kg repris dans l’hôtel de luxe la veille du départ…si vous voyez ce que je veux dire… 🙂