Voilà, près d’un mois que nous sommes de retour en Chine, notre visa arrive à expiration, et nous sommes face à un dilemme qui nous a tiraillés pendant plusieurs jours.
On a longtemps hésité entre redescendre des grands plateaux vers le Sud-Est et quitter progressivement le SiChuan, ou continuer sur notre lancée, et le froid tibétain vers l’Ouest et le QingHai, à travers les grandes plaines, les grosses montagnes et les hauts plateaux.
Soyons réalistes, et raisonnables.
L’extension de visa est plus qu’incertaine dans le QingHai (trop proche du Tibet) – ce qui nous contraindrait à nous hâter, traversant cette énorme province d’un coup d’un seul.
Puis, finalement, on en a un peu marre du froid, et on aimerait bien voir notre copain Taka, qui habite dorénavant vers la mégalopole de GuangZhou.
C’est donc un peu à regret – nous sommes de grands insatisfaits !, que nous prenons la route du Sud.
Nous quittons ainsi la jolie petite ville de LuHuo en stop pour rejoindre TaGong.
Et, comme depuis plusieurs semaines déjà, le paysage de larges vallées creusées par de timides rivières perchées à plus de 3500 m continue de nous émerveiller, et après quelques 3h de route à vive allure, nous arrivons à destination.
TaGong est un bourg de quelques 9000 âmes (ça existe encore en Chine ?!) pas dégueu’ du tout, installé au bout d’un plateau.
De grosses maisons en pierres grises, bien solides – vaguement malouines.
Tout autour, les collines arides de l’hiver sec.
Certaines comportent des mantra bouddhistes, d’autres sont chamarrées de drapeaux et mâts de prières en tout genre.
Les yaks broutent le peu d’herbe qu’ils trouvent.
Les chevaux prennent l’air, le grand air pur.
Au loin, une chaîne de montagnes vient effleurer le bas plafond de nuages noirs de notre arrivée.
Nous sommes déjà si haut que nous avons peine à croire que ces sommets sont à plus de 6000m.
Pour parfaire le tableau, nous avons trouvé le gîte dans une belle maison tibétaine, sublimement colorée. Personne ne venant à cette saison, nous sommes seuls et nous profitons d’une grande chambre décorée du sol au plafond, de fleurs, et arabesques, de spirales, de swastika, de nuages, dragons, lions et autres symboles tibétains.
C’est un vrai petit cocon, et lorsque le soleil illumine la pièce, tout s’éclaire de milles couleurs à s’en décoller la rétine.
On s’y sent bien.
On a rarement aussi bien dormi car, malgré la mauvaise isolation – pas de carreau aux fenêtres, les lourdes couvertures nous tiennent confortablement au chaud.
Le reste de la maison est tibétain à souhait. Les ronds, les losanges, les triangles ornent les murs.
Les trapèzes des sculptures de bois peintes de la façade, nous donne le sourire à chaque coup d’œil.
C’est un cirque, un chapiteau. Et avec une peu d’imagination, quelques travaux, on se plait à s’imaginer s’installer ici, avec une maison d’hôtes dans ce magnifique cadre qui nous environne.
Pour l’instant, nous nous installons pour quelques jours, profitant des grands espaces et de la vie simple qui se déroule ici.
La météo n’est pas très clémente en ce premier jour. Lors de notre arrivée, nous avons repérés, sur la route (très dangereuse cette route : trois passages sur ce tronçon de 20 km en une journée et 3 accidents différents !), d’étranges formations géologiques que nous décidons d’aller voir.
Un aller-retour en stop, et une petite averse de grêle plus tard, et nous voilà profitant du « futur-nouveau-parc-naturel-à-ticket-bientôt-payant-cher » des Bermudas Géologiques Chinois (comme souvent, les traductions s’avèrent approximatives).De grands pains de poudre anthracite sortent de terre, comme si, à cet endroit-là, le sol et son tissu d’herbe soyeux s’était déchirés pour laisser apparaitre la couche en camaïeu de gris. C’est assez étrange et plutôt joli. Nous savourons d’être tout seuls dans ce paysage lunaire.
Le lendemain, la chance est avec nous et nous nous réveillons sous un ciel superbement bleu.
Nous avons décidé d’aller visiter un couvent situé à quelques encablures par-delà les collines et les plaines. Max et Léa, un couple de voyageurs rencontrés la veille au soir, nous accompagnent. Ça nous fait plaisir de papoter, d’apprendre de leur riche expérience, et d’« interagir » avec d’autres personnes. Mine de rien, cela ne nous était pas arrivé depuis plus de 3 semaines et notre départ des gorges du Saut du Tigre (rappelons qu’en Chine quasiment personne ne parle anglais… et dans cette région pas du tout).
Nous quittons le village, grimpons la colline qui le jouxte et coupons tout droit à travers les grandes prairies dorées. La plaine est vraiment sèche. Il n’y a pas d’arbres à ces altitudes (nous sommes toujours à 4000m).
Les traces au sol montrent que les habitants doivent utiliser la tourbe du terrain.
Le soleil rayonne fort, la crème solaire n’est pas de trop. Et au loin, immaculé sur un tapis d’herbe sèche, brille un large monastère.
C’est cette direction que l’on prend.
À mesure que nous nous éloignons de la route, nous entrons dans l’immensité du paysage.
Les collines naissent autour de nous, les cimes enneigés pointent au loin, les gros nuages cotonneux roulent rapidement dans le ciel d’un bleu pur, traînant au sol de longues ombres que l’on voit évoluer à vue d’œil. Nous contournons les enclos, longeons les ruisseaux, saluons les quelques nomades que nous croisons et qui font paître leur cheptel de yaks.
Puis le monastère se rapproche et sans vraiment nous en être rendu compte, nous le rejoignons et en passons la porte. Peu d’intérêt puisqu’il est extrêmement récent.
Nous tournons, dans le sens des aiguilles d’une montre, et puis nous nous en allons vers le couvent voisin.Le village des nonnes n’est pas sans nous rappeler Larung Gar, encore tout frais dans nos souvenirs – dans une dimension évidemment bien plus réduite. Quelques maisons de fortunes, de vieilles mamies prennent le soleil sur le pas de la porte en faisant tourner leurs moulins, et des femmes au crâne tondu en plein travail mais qui n’hésitent pas à lever le nez de leur labeur et nous lancer de chaleureux tashidele.
Si la salle de classe des nonnes est très récente, le petit chemin de kora en contrebas, paré de plusieurs dizaines de moulins à prières, est impressionnant.Il semble être un massif empilement de plaques de pierre sur lesquelles sont gravées et parfois peintes, des mantra. Un travail interminable pour les quelques artisans que l’on voit un peu plus loin manier religieusement marteau et ciseau. Quelques adeptes tournent, les papys nous sourient. Certains pèlerins viennent de très loin pour prier ici*.
L’ambiance est sereine. On se sent bien dans cet environnement.
Cheminant à travers le village, et alors que nous demandions de l’eau pour remplir Hermès la Thermos, une femme nous invite pour prendre le Zampa.
Zampa ?
Elle mime quelque chose, serrant son poing… on ne comprend pas trop…
Allez, on va tester.
Nous la suivons et entrons chez elle, et nous sommes installés tous les 4 sur le canapé autour du poêle dans ce qui semble être l’unique pièce confortable de la maison.La voilà qui sort des bols qu’elle remplit d’eau bouillante.
Elle dépose ensuite une bonne grosse cuillère à soupe de beurre (de yak – celui qui sent fort et qui ne va jamais au frigo) dans chacun d’eux.On pensait bien initialement avoir droit à du thé au beurre, comme cela se boit souvent chez les Tibétains.
Mais ensuite, elle dépose plusieurs cuillerées d’une poudre d’un brun léger.
C’est de la farine d’orge, le zampa.
Ainsi, nous voilà, tous les 4, à essayer maladroitement de mélanger l’eau, le beurre, et la poudre, en faisant tourner nos bolinettes d’une main, malaxant la pâte de l’autre pour en faire une grosse boule de la taille d’une balle de tennis.
Voilà. C’est ça le Zampa. De la « pâte à tarte » crue dans laquelle on croque allègrement.
Ça n’est pas si mauvais, pas savoureux non plus.
Ça n’est pas très digeste, voir même un peu gras quand on n’a pas bien mélangé le pâton et que l’on tombe sur un morceau de beurre, mais c’est simple, et très vite ça rempli le ventre.
Après plusieurs bouchée, pas si facile à avaler tout de même (heureusement, notre hôte nous a rempli nos bols d’eau bouillante), nous prenons congés, emportant le reste de nos zampa avec nous.
Cet en-cas nous a bien calés, et va nous donner des forces pour le chemin du retour.
Quelle est belle cette balade du retour.
Nous sommes seuls. Encore. Au milieu de ces immenses étendues.
C’est parfait. On passe cette fois-ci par le faîte des collines – et à près de 4000m, ce n’est pas une mince affaire – ce qui nous offre un panorama infini sur les alentours.
C’est si haut, si beau, si profond, si immense.
Au loin, on peut apercevoir quelques hauts sommets (et peut-être même le Mont Gongga, culminant à 7556m).
Nous nous sentons si petits dans ce paysage démesuré.
C’est un gros coup de cœur que nous avons pour cette région magnifique de simplicité.
Il nous faudra revenir en été lorsque les prairies sont vertes étincelantes. Mais on pense qu’on tient ici une perle.
Retour à flanc de colline, suivant le lit des rivières.
Avec 22 km dans les pattes, le dîner que nous partagerons avec nos nouveaux amis n’en est que meilleur – alors que la fermentation du Zampa continue dans nos estomacs.
Notre visa arrive à expiration, nous devons l’entendre à Kangding, plus bas, de l’autre côté de la montagne à « seulement » 2500m.
Nous nous y rendons d’un coup de stop, et une fois le col passé, la descente vers cette ville est un choc. Fini les grands espaces, les jolies maisons et les yaks paissant dans les prairies.
Kangding est encaissée entre de superbes montagnes, mais pour y faire tenir près de 300 000 habitants, on a tout construit en hauteur.
Place aux immeubles moches et aux boutiques bruyantes.
Place à la « Chine des Han ».
… et tout le bon confort qui va avec. Ce n’est pas sans nous faire plaisir… mais peut-être un peu trop tôt encore. D’autant qu’il nous faut attendre quelques jours que notre visa soit fait et on se dit qu’on n’a pas envie d’attendre 3 jours ici.
Aussi le lendemain, immédiatement après avoir déposés les papiers à l’immigration, on reprend un véhicule pour retrouver notre nid à Tagong (en longeant l’aéroport de Kangding, le 3ème plus haut du monde à 4200m). Retour à la maison !
Notre séjour se poursuit donc, en calme et au grand air.
On se sent définitivement bien ici. C’est beau.
On se balade dans la ville, le monastère – qui fait aussi affluer de nombreux pèlerins.
On fait le tour, encore.
Et on observe la mamie qui travaille sur son immense métier à tisser. On grimpe sur la même colline et on observe ces montagnes, ce paysage, une dernière fois sans se lasser. On prend nos petites habitudes de sédentaires, avec notre hôte timide, notre vendeuse de nouilles, papa et baozi (pour le petit-déjeuner) et notre froid** petit restaurant de quartier pour le dîner et dont il semble que nous soyons les seuls clients.
‘* Sur le bord de la route, nous croiserons plusieurs fois un même pèlerin qui s’est lancé dans le grand kora autour du Mont Gongga. Et sa dévotion ne lui en fait pas simplement faire le tour.
À chaque pas, il se prosterne et s’allonge, à même la route, pour repartir, et recommencer à la prochaine foulée. Ce kora dure 30 jours d’après l’un de nos conducteurs.
** On rappelle qu’il n’y a pas de « cloison » en façade des commerces dans ce pays, aussi la salle est grande ouverte sur l’extérieur… il y règne donc un froid sibérien à la nuit tombée
Si le yak savait ce que tu penses de son beurre, tu ferais moins le malin à lui tenir la barbichette !?!
Je le suis un peu à chaque fois, mais là je veux le dire. TROP JALOUX QUOI! Ces paysages me rendent juste fou. Et puis cette maison bariolée, le kiff. J’espère qu’il y a du beau croquis à voir prochainement.
Le triangle de drapeau sur la montagne dans les dernieres photos, c’est la qu’ils decoupent les morts? Et on en parle de cette tete de Yack sur la moto? Et elle tisse quoi la petite mamie?
Le parc des bermudas a un air de Cappadoce… le reste du paysage ressemble à une immense steppe. Je me disais au début du post que j’allais regretter aussi le Sichuan mais pour l’instant force est de constater que ce coin là de la Chine est aussi sympa
Pas très pratique le plateau de Scrabble peint sur le mur.
Je pense que la dame a parié 3 steaks de yak à sa voisine qu’elle arrivait à faire bouffer une motte de beurre rance aux laowaï ! Vous avez vérifié son frigo? Je suis sûr qu’il y avait des éclairs au chocolat et des tartes tatins, elle a bien dû se marrer 🙂
Bises
He he he…
On a pensé pareil pour le scrabble!
Très joli !
C’est pas un yak que vous caressez là, c’est pas comme ça un Yak, c’est quoi comme aninal ce truc ? Un daim-loup ?