Alors que nous étions encore à Nilaveli, nous commencions à penser à notre itinéraire indien avant de rejoindre les montagnes du Nord.
La route que nous souhaitions emprunter nous faisait passer par la ville de Bhopal.
Mais t’es sûr qu’on s’arrête à Bhopal ?
Parce que Bhopal, dans l’imaginaire collectif, se résume en cette atroce catastrophe humaine et écologique, qui eut lieu le 3 décembre 1984, sur le site chimique de la compagnie Union Carbide.
Alors que la ville est endormie – ainsi que les bidonvilles installés jusqu’au pied de l’enceinte de l’usine, 27 tonnes d’isocyanate de méthyle s’échappent des cuves. La substance, plus lourde que l’air, se répend en une nappe de gaz toxique s’immisçant au cœur les habitations périphériques sans que l’alerte ne soit donnée. Pris de panique et désorienté par cette menace invisible, la population compte 3500 morts par asphyxie avant même que le jour ne se lève. L’estimation est étendue à 300 000 morts à la suite des nombreuses maladies et complications dues à l’inhalation de ces produits toxiques.
Ainsi, l’image populaire de Bhopal n’est pas des plus joviales et fleuries.
Mais nous aurions eu bien tort de ne pas y jeter un œil.
Un confortable trajet en Sleeper nous permet de rejoindre Bhopal en un après midi.
Les quelques kilomètres avant notre arrivée nous font traverser les faubourgs, collés au plus près de la voie ferrée. Notre convoi s’arrête de longues minutes devant les taudis proprets mais dont les pas-de-porte sont parsemés de déchets plastiques en tout genre. À l’endroit même où nous nous arrêtons, un homme se tient dans le panache de fumée issue d’un feu d’ordure, des biquettes broutant dans les rebus.
Nous sommes récupérés en gare de Bhopal par Anubhav, notre hôte. Un grand mec sympa, ingénieur et voyageur. Son frigo est d’ailleurs plein des aimants à l’effigie des villes et pays dans lesquels il s’est rendu à travers le monde.
Nous posons nos affaires dans sa petite maison de banlieue, certes un peu excentrée, mais au calme, avant de partir pour diner dans un resto exclusivement non veg.
Oui Anubhav ne mange que très rarement des légumes, et surtout exclusivement de la viande ! Nous nous régalons ainsi de bonnes protéines, et de pain cuit au tandoor, avant de finir la soirée de quelques bières fraiches.
Encore une fois, les températures et le temps sont éprouvants. Il fait toujours extrêmement chaud et nous peinons à nous motiver.
Nous partons tout de même visiter le Musée de la culture tribale du Madhya Pradesh, qui s’avère être un assez joli musée. Pour sa collection et pour sa scénographie.
Objets divers des maisons d’antan utilisés pour la cuisine, l’agriculture ou les rituels, l’ensemble est assez riche.
Ne manque juste que quelques panneaux explicatifs… qui nous font du coup passer à côté du sens et de l’histoire de ses peuples aux traditions en voie d’extinction.
La soirée se passe pour le mieux puisque en tant que couchsurfer assidu et zélé, Anubhav organise tous les mois des rencontres avec la communauté locale.
C’est l’occasion pour nous de rencontrer des gens adorables et bienveillants,… et de faire la fête !
Notre expérience sociale continue, avec des personnes de différents groupes (classe moyenne et aisée), aux expériences variées, mais ouvertes au débat.
Ce n’est certes pas la même ambiance, ni le même cadre qu’avec Nusyl, mais c’est sympa de discuter, d’échanger, de confronter nos idées, nos points de vue avec ces citoyens du monde qui malgré la distance qui nous sépare sont, dans le fond, pas si éloignés.
Et puis, nous sommes bien entourés. Cela tombe bien, puisque nous sommes en pleine Coupe du Monde de Cricket, et le soir suivant, c’est LA rencontre Inde-Pakistan. Plus importante encore que la victoire de la coupe, c’est le match, que ces deux pays belligérants de toujours, doivent gagner !
On terminera donc le match* en compagnie d’une poignée de ces nouveaux amis rencontrés la veille.
La raison initiale de notre séjour à Bophal est aussi de visiter le site archéologique de Sanchi.
Le musée du Monde Bouddhique à Kandy, au Sri Lanka, dépeignait les différents sites sacrés de par le monde.
À Sanchi, se trouve ainsi l’un des sites fondamentaux de la diffusion du Bouddhisme dans le sous-continent indien.
Ashoka, l’empereur Maurya qui s’est converti au bouddhisme et avait envoyé des émissaires de l’Afghanistan au Sri Lanka, y a construit un ensemble de stupa et de monastères datant du IIIème siècle av. J.C.
Pour ne pas trop souffrir de la chaleur nous prenons un bus assez tôt le matin.
Malgré cela, notre promenade à 11h00 sur le site se fera sous un soleil de plomb.
Mais le jeu en vaut la chaleur.
Certes les bâtiments ont souffert du temps, mais les quatre portes qui encerclent l’immense stupa principale sont incroyablement riches de détails. Chacune raconte une histoire, celle de Bouddha et ses disciples, celles de la vie locale. Animaux, fleurs, motifs géométriques, nous sommes impressionnés de l’état de conservation de ce site vieux de 2300 ans.
La balade est paisible. Le site devait accueillir nombres de moines, à la vue du monastère et de ces énormes stupa.
Nous prenons notre temps, puis nous repartons en direction de Bhopal, pour finir l’après-midi en ville.
La vieille ville, entourée par les ruines de larges remparts, est un joyeux chaos, dans lequel il n’est pas facile de se balader.
Mais comme souvent, nous prenons plaisir à nous perdre dans les ruelles étroites et chargées.
Quelques jolies façades décaties nous font lever la tête, alors que nous croisons vaches et brebis. Vendeurs en tout genre, nous trouvons nos jus de canne à sucre, coincés entre les boutiques de bijoux et les chariots de mangues.
La vieille ville est à majorité musulmane, du fait de l’histoire de la cité fortement liés aux Moghols. Les femmes sont ainsi très couvertes et de nombreuses mosquées pullulent à travers la ville, dont Taj-ul-Masajid (Crown among mosques), parmi les plus grandes d’Asie, et construite par deux femmes au milieu du XIXème siècle.
Elle est loin d’être aussi bien finie que la mosquée Badshahi à Lahore, dont elle s’inspire, mais en y pénétrant, on se sent transportés.
Les mosquées sont souvent des vrais havres de paix, dans lesquels il fait bon s’y poser.
Déchaussés, nous traversons les larges cours, contournant les bassins dédiés aux ablutions, accueillis par de larges sourires.
Les murs d’enceinte nous isolent systématiquement du bruit de la ville, et rendent ces lieux paisibles.
Quelques papys accroupis lisent le Coran tandis que d’autres se reposent sur les épais tapis qui recouvrent le sol.
On en oubliait même que l’Inde, bien qu’à majorité hindoue, n’en demeure pas moins l’un des plus gros pays musulmans.
Nous retrouvons la même quiétude dans deux autres mosquées au fil de nos pérégrinations urbaines.
À l’ombre des arcades, nous nous arrêtons, avant d’entendre l’appel à la prière et de quitter tranquillement les lieux pour ne pas déranger les fidèles.
Salvatrice pause-bruit.
Afin de compléter notre découverte de Bhopal et ses environs, nous grimpons une nouvelle fois dans un bus pour aller voir le site archéologique de Bhimbetka.
Situé au sommet d’une colline rocailleuse surplombant une vaste plaine aux herbes asséchées, ce site abrite une dense forêt de formation rocheuse – un rêve pour les grimpeurs ! Des rochers aux formes étonnantes, certains creusés par les eaux, créant dédales, cavités et abris.
C’est ainsi qu’il y a 30 000 ans, des chasseurs-cueilleurs du paléolithique y ont marqué leur passage.
Redécouvertes seulement à la fin du XIXème siècle, ce sont ainsi des centaines de peintures rupestres qui sont mises à jour.
On entre sur le site par une imposante cathédrale rocheuse, habitée par de nombreuses chauves-souris.
La roche lisse laisse apparaitre les stries du temps et les écoulements d’eau.
Nos yeux parcourent la surface colorée du rocher, à la recherche de ses messages laissés par nos ancêtres, et tombent sur ces premières peintures et représentations.
Quelques animaux à cornes et des silhouettes humaines aux corps triangulaires, nous entrons progressivement dans l’Histoire de l’Humanité.
Notre cerveau commence à remonter le temps, à calculer les années, les siècles qui nous séparent de ces hommes dessinés sur cette pierre.
On dézoome.
On saute dans le vide de notre Histoire.
C’est vertigineux**.
Que d’évolutions en 30 000 ans, aussi bien techniques que sociétales. Des empires se sont créés, des civilisations effondrées, des religions ont disparu… mais nous sommes toujours les mêmes sapiens.
Nous nous arrêtons pour contempler un véritable zoo graphique. Éléphants, bisons, rennes, faons, chevaux. Nos mains veulent toucher ces peintures. Nous sommes seuls et l’émotion devant ces fresques nous gagne.
Certes, toutes ne datent pas du paléolithique (les datations s’étalent jusqu’au Vème siècle de notre ère), mais imaginer ces hommes vivre ici, dans ces immenses plaines et forêts, se déplacer, interagir, chasser et même cultiver nous rend silencieux.
Nous enchainons les grottes et peintures, toujours plus émus et émerveillés.
Des scènes de chasse apparaissent sous les traits épais de ce pigment rouge. Ici, des archers galopent, bras en l’air, là un homme se fait pourchasser par un bison sous les réactions de ces collègues de chasse, tandis que dans un coin, paons et serpents prennent vie.
Nos mains passent au-dessus de ces dessins, nos yeux s’y éternisent cherchant l’énergie de la roche, de la vie qui a habité ces lieux.
Le souvenir de nos ancêtres.
Nous quittons Bhimbetka, pris dans nos pensées préhistoriques et le parcours emprunté par l’humanité depuis lors, et nous terminons la journée en compagnie de Bhumika (la femme d’Anubhav) et Shashi pour le plaisir simple d’une cueillette de mangues.
En effet, lui aussi Gujarati, sa famille possède de nombreuses terres arables en périphérie de la ville grandissante. S’ils touchent le gros lot à chaque vente de terrain, ils en conservent encore une` partie pour cultiver blé et vergers… et notamment des mangues que nous « buvons » à même le fruit !
Contrairement à notre ami Nusyl – dont la famille a mis de l’eau dans son vin – Shashi subit de plein fouet la pression d’une famille hyper conservatrice et d’une société lui imposant son mode de vie.
Nous aurons d’ailleurs de longues et intéressantes discutions avec Bhumika sur ces sujets.
Elle et Anubhav ont beau être un couple moderne, elle nous raconte beaucoup souffrir de la pression de sa belle-famille, et de la difficulté à convaincre son mari de s’en émanciper (malgré le millier de kilomètres qui les séparent). On s’est senti confident de notre nouvelle amie féministe – dommage qu’elle ne nous ait rejoint que trop tard à Bhopal.
Notre départ se précise… dans le flou !
Un inconfortable trajet en train nous attend. Nos sièges n’ont pas été confirmés***. Avec toutes ces dernières expériences manquées, nous nous sentons un peu comme des Poulidor du train !
Et nous nous entassons tout de même dans le wagon sleeper plein à craquer pour les dix prochaines heures.
Néanmoins, le chef du train a été sympa, il nous a filé sa couchette. De quoi nous plaignons-nous !
Nous laissons derrière nous le Madhya Pradesh pour une courte incartade au Rajasthan.
‘* « Terminer le match » car ils durent plusieurs heures (de 15h à minuit), et sont sensibles aux aléas de la météo.
Cela nous offrira suffisamment de temps pour comprendre les règles – que seul l’esprit tourmenté d’un Anglais aurait pu élaborer, mais qui finalement, sont très bien résumées par Vincent :
– Faut dégommer ou empêcher de dégommer des bâtons
– 1 point par run, 3 si la balle touche la limite du terrain, 6 points si tu tires au-delà
Tout le reste n’est que détail !
** Nous ne connaissons pas le site de Lascaux, mais il est certain que l’expérience doit être similaire.
*** Machiavélique système de réservation de train indien.
La réservation des billets en Inde est une tannée, et malgré les nouveaux outils mis en service – notamment pour consulter en ligne les disponibilités – c’est une source d’anxiété et frustration pour nous.
Le début du chemin de croix commence par le hall de réservation où il nous faut remplir un petit papier avec le nom et numéro du train, et la catégorie de couchette (pas possible de discuter du bout de gras pour prendre quelques informations que ce soit au comptoir : vingt-cinq personnes poussent derrière nous. Il faut arriver omniscient !)
Et la plupart du temps, nous nous voyons attribuer une place en liste d’attente (Waiting List – WL).
En effet, ces trains qui parcourent le pays sur plusieurs jours sont souvent pleins – mêmes quelques dizaines de jours à l’avance.
Puis la veille ou le matin du départ, la chart (liste des passagers) est mise en place et les places attribuées.
Si on a de la chance, une place nous est confirmée.
Avec un peu moins de chance, on a des places en RAC – Reservation after Cancellation ce qui nous impose de partager une couchette à deux avec un autre RAC.
Et quand on n’a pas de bol du tout, on reste en WL.
Soit on fait semblant de pas comprendre et on embarque le train sans place, soit on ne prend pas le train.
Ces billets de train Bhopal à Bundi, nous les avions réservés plus d’une semaine en avance à Indore.
Nous étions alors en WL8/WL9, avec de bonne probabilité de confirmation. Nous finissons en position WL3/WL4.
Coiffés au poteau.
Et on se plaint de la sncf!!!!!
Ah ah
Merci ! 🙂
Coucou.
Je constate avec plaisir que en Inde il est possible d’entrer librement dans les mosquées (avec tt le rrspect qu’il se doit bien entendu).
Mais ce qui m’a étonné encore plus (positivement) c’est que des femmes ait construit une mosquée. Est ce une mosquée pour femme ? Mixte ? Curieux d’en savoir plus sur le sujet.
Les vestiges de notre passé d’animal intelligent sont tjrs émouvant. J’ai reswenti cela aussi sur le site Hagar Qim à Malte, en visitant des temples vieu de 5000 ans.
Nous sommes peu de choses face à l’histoire, et face à la Bourlingue 😉
Bisou
C’était une mosquée mixte, construite par une femme qui dirigeait la région. Autre époque, autres mœurs.
Maori : « il est vraiment sympa de vous avoir donné sa couchette ! Ce n’est pas en France qu’on ferait ça ! »
Wouaou le site archéologique est magnifique !!! On adore !!!
Et sûr que côté escalade soit donné envie !!