Bouddha, c’est trop glodyte!

C’est le vague à l’âme que nous quittons Aurangabad et les petites habitudes que nous y avions si facilement trouvées, pour une journée que l’on anticipe déjà comme rude.

Ce soir nous faisons étape à Jalgaon, nous offrant un accès plus facile aux grottes d’Ajanta.
Si les liaisons vers cette ville, distante de seulement 180km, sont fréquentes, l’état de la route, dans un chantier de reconstruction lancé depuis toujours, impose un voyage de cinq heures pleines de chaos et de poussière.

Le paysage est surprenant. Comme au cours des derniers jours, la nature hostile du paysage soulève la question du choix de ces populations à vivre dans de telles conditions de rudesse.
Il est aussi vrai que nous avons vu nombres de photos de cette région en haute saison (lire : quand les moussons sont passées et les températures acceptables), et un grand tapis vert recouvre ces plaines à peine vallonées. Difficile à croire quand l’air qui nous fouette le visage à travers la lucarne ouverte du bus nous brûle la peau et nous assèche les yeux. Aujourd‘hui, on voit ici ou là une charrue au soc de bois tirée par un couple de bœufs, ou, pour les paysans les plus fortunés, un tracteur.

Mais les quelques arbres secs qui se dressent épars dans ce paysage désert sont pathétiques. Tout le monde semble assoiffé. La terre, les animaux, les gens.
Quelques travailleurs font leur pause, sous les machines à l’arrêt. Mais même les cailloux sur lesquels ils sont allongés doivent leur brûler le séant.
Parfois nous croisons le sari colorés de ces femmes travaillant dans les champs*, fesses en l’air. Ce doit être le moment de semer et des derniers préparatifs agricoles avant que la mousson, déjà en retard de plusieurs semaines, s’abatte sur la région.
Autrement, les seuls points colorés sont ceux des trop nombreuses ordures et déchets plastiques qui parsèment ce paysage uniforme.

Un brin asséchés et la face poussiéreuse, nous arrivons dans la bourgade de Jalgaon, ville sans grand intérêt ni coup de cœur. Mais pour notre plus grand bonheur, nous retrouvons jus de canne, thali et même lassi.
C’est sous une chaleur accablante que nous passons la nuit. 40°C à 20h… et coupure générale d’électricité dans la ville. On galère un peu. On boit** beaucoup.

C’est aux aurores que nous nous levons – génial, il fait presque bon ! Les grottes d’Ajanta se trouvent à une heure de route d’ici et nous voulons essayer de visiter ce site avant qu’il ne fasse trop chaud et qu’il n’y ait trop de monde.
Encore une fois, le paysage que nous traversons est doré.
Les paysans, profitant des températures plus clémentes, s’affairent dans les champs, les buffalos broutent, et quelques fours à briques sont lancés.

Situées dans une étroite vallée formant localement un fer à cheval, les grottes d’Ajanta se situent à flanc de montagnes du plateau de Deccan, au-dessus de la rivière, à sec en cette saison. Le paysage environnant est complètement asséché, contraste saisissant avec les images de végétation verte et dense que nous avions fugacement vues sur internet.
En cette heure matinale, seuls quelques singes semblent se plaire à crapahuter dans cet environnement aride.

Le territoire compte une trentaine de cavités, excavées du IIème s. av.J.C. au Vème s. ap.J.C (soit antérieures à celle d’Ellora).
Exclusivement bouddhistes, ces grottes abritent temples, halls de prières, salles de réunion et chambres monacales.
Et même, si la technique de construction est similaire aux grottes d’Ellora, le résultat n’en demeure pas moins impressionnant.


Larges colonnes, sculptures et bas-reliefs, chapiteaux ornés, jeux de profondeur, et niches en enfilade, c’est un émerveillement.
L’un des monastère a d’ailleurs été abandonné alors que les travaux d’excavation était en cours.
Ce chantier interrompu est émouvant. Une colonne finalisée a dû être laissée comme modèle, certaines n’étant qu’à l’état d’ébauche quand d’autres sont encore sous la roche.
Cette salle illustre la difficulté et la complexité d’excaver de tels volumes, on s’étonne du travail colossal de projection, pour définir ici ou là, où sera tel pilier, chapiteau et couloir, anticipant chaque erreur pour ne pas « trop » en retirer.
Nous touchons ces murs épais, ce basalte si dur qu’il semble impossible à creuser. On imagine la poussière et l’obscurité, le bruit qui résonne, et qui doucement, fait apparaitre le visage bonhomme de Bouddha.


Mais alors que les grottes d’Ellora étaient déjà source de longues admirations devant la masse monumentale de travail, nous découvrons ici un magnifique ouvrage de fresques et peintures, recouvrant les murs et plafonds. Il y en a partout, dans un état de conservation incroyable (rappel : plus de 2000 ans pour certaines).
Certains racontent la vie de Bouddha, d’autres ne sont que représentation de la vie quotidienne.
On y trouve des fleurs, des fruits, des animaux, mais aussi des éléments graphiques.
Pigments et dorures ont été restaurés dans un travail fabuleux.


Nous longeons les murs dans la lumière tamisée. Le calme de la faible fréquentation nous permet de nous immerger dans ces immenses peintures. Nous accrochons notre regard sur quelques détails avant de nous faire happer par une scène de chasse au tigre, un cérémoniel religieux ou simplement la tête d’un éléphant.
Il devait, à l’époque, être commun de trouver ces gros mammifères sauvages dans les environs…
Et une fois encore, nous prenons conscience du travail de fourmis, de la dévotion de ces moines pour faire exister de telles œuvres à l’image de Bouddha.

Nous enchainons les grottes.
La mise en lumière nous permet de réaliser le volume des pièces, soulignant la quantité de personnages habitants piliers et murs. Nous distinguons parfaitement chaque partie des colonnes et des ouvrages.

Bouddha et ses gardiens sont partout, certaines niches s’enfoncent profondément dans la montagne.

Nous terminons notre visite par les magnifiques Chaitiya (hall de prières), dont les voûtes majestueuses qui protègent Bouddha, semblent dessiner une charpente, créer un point de fuite vers cette figure sainte.
Ces cathédrales troglodytes sont lumineuses, et le jeu d’ombre et de lumière participe à la magie et sérénité de ces lieux de prières. Au-dessus des colonnes ouvragées, des frises détaillées et parfois encore peintes.

Comment ne pas être impressionnés face à ces images sereines.
Nous sommes béats. Silencieux et émus face à ces merveilles qui constituent notre patrimoine, celui de toute l’Humanité.

 

 

‘* On remarque finalement que le sari, si typique de l’Inde, semble n’être quotidiennement utilisé que par les masses populaires (exception faite des classes les plus aisés qui portent parfois les plus belles étoffes). Sinon les classes moyennes portent kurti, kemis, et prêt-à-porter à l’occidentale.

** Nous arrivons à faire remplir nos bouteilles partout. Le système d’eau filtrée est complètement développé et intégré dans la vie locale indienne – du moins dans les villes.
Nous passons devant des échoppes aux installations filtrant l’eau et où chacun rapporte son jerrican ou sa bouteille pour la faire remplir.
Ou nous croisons la route de nombreux camions, qui délivrent des gallons isothermes d’eau aux restaurants, et administrations, aux bui bui et diverses boutiques.
Aussi, nous trouvons régulièrement en libre-service dans la rue, des jarres en terre cuite – ce qui permet à l’eau de rester plus fraiche – et où les habitants viennent se désaltérer. Un verre en inox, attaché à la jarre, est ainsi partagé par tous.
Avec ces températures caniculaires, alors que le train s’arrête en gare, des chariots chargés d’eau passent sur les quais, afin de remplir les bouteilles que les voyageurs leur tendent par la fenêtre.
Il en est de même dans le bus, ou le conducteur (celui qui fait payer les tickets, dit au chauffeur de s’arrêter, fait monter les gens, …) fait le plein des bouteilles des passagers grâce à ces grosses thermos préalablement remplies.
Il va s’en dire que des vendeurs de bouteilles traversent également les couloirs des trains, ou proposent leurs fraiches marchandises dans chaque gare routière.
Mais nous étions agréablement surpris de ce service proposé et disons-le, un peu plus écologique.
Car concernant l’écologie en Inde, il y a du boulot…
Mais nous en parlerons plus tard. On n’a pas envie de finir ce post sur un coup de cafard !

6 thoughts on “Bouddha, c’est trop glodyte!

  1. La sécheresse apparente me questionne sur le changement climatique : ce territoire a-t-il toujours été aussi sec (en dehors de la mousson) ? Sinon, pourquoi les populations s’y sont installées.
    L’état des peintures dans les grottes posent la même question. On a l’impression qu’elles ont été dégradées par l’humidité : c’est l’effet des pluies très violentes en période de mousson ou c’est qu’à une autre époque, il ne faisait pas aussi aride ?

  2. C’est vraiment magnifique ! Et a cette epoque en plus.
    En regardant les details des fresques, par comparaison avec nos fresques medievales – certes parfois tres belles – je me suis fais la remarque que la capacite de ces Indiens a representer en 3D a l’epoque me parait vraiment avancee.

    Alors a part ca le « Bouddha c’est trop glodyte » me demanderez vous ? … Eh bien je vais vous laisser sur votre faim … 🙂 !

  3. Mais votre bus il est vraiment défoncé !!! En tout cas le cockpit fait vraiment peur…
    Cependant en voyant où vous y alliez ça vaut vraiment la peine !!
    Ce site est vraiment MA GNI FI QUE !!!
    Vous me voyez pas mais je suis bouche bée !
    Je le classe merveille du monde direct !
    D’ailleurs je comprends pas pourquoi ce n’est pas plus connu ou reconnu…
    C’est une merveille d’architecture, d’ingénierie, culturelle… magnifique !

    Si dios quiere iré un día 😉 juste après le pakistan…

    Merci de nous faire découvrir ce genre de chose. Vraiment.

  4. Maori : « tous les bouddhas qu’il y a gravés dans la pierre et les jolies fresques ! »

    devenir béat comma bouddha

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