Nous nous réveillons de bonne heure. Le ciel est clair, un beau bleu, presque indigo.
Nos yeux scrutent la montagne devant nous, et cette route en lacets que nous appréhendons compte tenu du trajet aller.
Nous rangeons nos sacs, roulons nos tapis et sacs-de-couchage, replions la tente, attachons le tout sur les motos, remplissons nos gourdes d’eau à la source, dégustons nos quelques biscuits, et au bout d’une heure, nous démarrons les bruyants moteurs de nos motos, embarrassés de rompre le silence qui règne dans ce village.
Nous saluons les quelques moines et badauds que nous croisons et quittons Lingshed sur les pentes ardues, rocailleuses et sableuses de ce début de piste.
Très rapidement, nous arrivons au virage que nous redoutions, juste en bas de cette pente impossible. Nous coupons les moteurs et montons à pieds ces quelques mètres de piste, pour mieux étudier le terrain.
Marion retire les plus grosses pierres de la trajectoire.
C’est Brice qui chevauchera les deux motos. Sans élan et à plein régime, il s’élance. Les roues n’accrochent pas, ça glisse, et le moteur arrive à sa limite de puissance (nous sommes à 4000m alt.).
Brice pose les pieds, Marion pousse la moto, on galère, ça dérape. La poussière et les minuscules graviers rendent ce terrain très glissant mais nous parvenons à passer le virage puis à rejoindre petit à petit le haut de la pente, et le terrain plat. Moto 1, c’est fait !
Marion reprend son souffle pendant que Brice monte sur la deuxième moto, et rebelote : les graviers, la poussière, la perte d’équilibre et de puissance, mais on y parvient une seconde fois.
Claqués mais contents que tout se soit bien déroulé, sous l’œil amusé de quelques enfants en route pour l’école (mais ils vont jusqu’où comme ça… ?), nous poursuivons notre chemin. Chaque virage est suivi d’une longue route transversale barrant la montagne le long de son flanc et au bout duquel un nouveau lacet s’ouvre sur une nouvelle transversale. Au fur et à mesure, nous prenons de la hauteur nous éloignant ainsi de Lingshed, son monastère, ses blanches maisons et ses cultures.
Le dernier morceau de route en construction de l’avant-veille se passe sans encombre : les énormes cailloux ont été tassés (ou peut être sommes-nous plus alertes et plus frais ?). Ça gigote et sautille pas mal, mais ça passe.
Les ultimes virages s’ouvrent de plus en plus à mesure que nous rejoignons le haut de la montagne. C’est avec joie que nous atteignons ce petit col et le stupa blanc qui nous ouvre la voie sur un court plateau d’altitude baigné d’une chaleureuse lumière matinale. Nous sommes entourés de collines tachées de pompons végétaux.
Au loin, les sommets enneigés des vallées éloignées nous saluent de bon matin, tandis que les montagnes semblent s’enfoncer profondément.
Alors que nous suivons la longue courbe que la route dessine sur la colline, nous sommes doublés par le camion-benne/transport de personne/bus qui coupe à travers un raccourci et inonde la scène d’une fine poussière. C’est donc ce véhicule que les habitants de ces recluses régions empruntent pour quitter la vallée ? Debout dans la benne, cheveux aux vents et empoussiérés, ils voyagent ainsi des heures durant dans les cahots de la chaussée, traversant les cols et ces routes abimées.
Heureusement pour eux – et pour nous – aujourd’hui il fait beau. Il doit faire tout de même frais là-dedans.
Nous rejoignons vite le bord du large amphithéâtre de Stayang.
Et le paysage est encore plus beau qu’à l’aller.
À cette heure, les couleurs sont intenses. Les roches et les failles, tout semble plus contrastés.
La route, qui évolue à niveau tout autour de l’immense cirque géologique, barre le paysage d’une ligne incroyablement horizontale, comme un couvercle mal ajusté.
En contrebas, on aperçoit le village de Stayang et ses patchs verts, et l’on peine toujours à comprendre comment ses personnes ont décidé de venir s’installer ici. Quels histoires ou aventures les ont menés jusqu’à cet endroit ?
La piste est meilleure que dans nos souvenirs et nous arrivons rapidement au passage de rivière, où nous nous arrêtons pour un thé-biscuits au bord de l’eau. Assis sur un large caillou, nous sommes bercés par le doux remous des eaux glacières.
Le camion/bus, que nous avions redoublé, s’arrête également et incline légèrement sa benne pour en faire descendre ses passagers. Nous en profitons pour reprendre la route, passant alors le glacier qui fond, les roches grises et noires qui s’effritent en de fines aiguilles ou plaques d’ardoise, les éboulis de poussière et quittons cette vallée pour la suivante par deux ou trois longues volées de zigzags.
Ici, nous retrouvons pour un court instant les pentes douces et les collines tachetées de ces pompons végétaux. Sur notre droite plus au Sud, d’imposantes montagnes se dressent, créant un mur qui parait infranchissable. Une fine route s’y enfonce. C’est celle pour Nerak.
Malgré le ciel bleu, pénétrer dans cette profonde voie qui se perd vers l’inconnue nous semble tout aussi intimidant que l’avant-veille.
Avec la pleine lumière de cette belle journée, les reliefs apparaissent plus accidentés.
De l’autre côté de Nerak, nous apercevons aujourd’hui une faille béante. Gigantesque déchirure de roche de plusieurs dizaines de mètres de large et à la profondeur insondable. Nous avons du mal à imaginer la force monumentale de la Terre, fissurant ce profond ravin, mettant à nu les strates géologiques de cette large ouverture. Nous dénommons cette curiosité le zip car, vu d’ici, la profonde gorge en dents de scie formée par ces deux massifs morceaux de montagnes de part et d’autre ressemble à une fermeture éclair.
Plus au Nord, Senghe-la nous appelle.
Nous remontons la vallée, longeant les inquiétantes flèches rocheuses acérées.
Nous rejoignons assez vite le pied de ce col gigantesque qui garde cette fascinante vallée du bout du monde.
Mais avant de commencer notre ascension, il nous reste cette rivière/cascade à traverser, celle où les cailloux étaient énormes et arrondis, et manquait de nous faire glisser. On est prêts à passer à pieds et pousser les motos, mais par chance, les cailloux sont plus petits et plus rassemblés que la dernière fois, et malgré de fortes secousses, nous passons sans trop d’encombre. Et la rivière qui suit, c’est du billard.
Ça y est, nous sommes au pied de Senghe-la et de sa longue succession de zigzags. De nouveau, les lacets reprennent et s’accompagnent de longues traversées à faible déclivité, suivies par un nouveau lacet – en ornières de boue sèche et en cailloux glissants.
Nos pauses contemplation sont nombreuses, et accompagnées de la nostalgie de quitter cette vallée.
Nous scrutons ce paysage, et nos yeux peinent à réaliser la beauté qui se déploie devant nous. Les adjectifs nous manquent. Les superlatifs ne sont pas suffisants pour exprimer la démesure du tableau, la magnificence de la Nature, la générosité des formes et des couleurs, des lignes et des courbes. Les strates, les failles, les coulures, tout s’imbrique et se complète.
Nous avons de la chance de pouvoir vivre ce moment sous un ciel diffèrent. La lumière change totalement le paysage, fait apparaitre de nombreux détails, en gomme d’autres, les ombres accentuant les reliefs.
Du haut de ces 4952m alt., le col de Senghe nous recueille après notre longue montée. Nous sommes émus d’être si haut, surpris aussi d’y être arrivés si rapidement. La route qui nous attend est encore belle, nous le savons, mais la satisfaction d’avoir pu rejoindre ces villages est grande.
Nous redescendons les longs zigzags blancs sur fond de roche noire, dominés par les superbes montagnes aux strates multicolores.
Nos pauses photos font que le camion/bus nous rattrape bien vite puis nous double.
Lui ne s’embête pas à emprunter de longues traverses pour descendre le versant de la montagne, mais utilise des raccourcis très raides. Les quelques passagers dans la benne doivent être secoués comme des pruniers.
Au pied de cette succession de virages, nous arrivons à la dernière grosse épreuve de cette route.
Deux larges rivières sont à traverser. Nous avions souvenir qu’à l’aller, elles étaient profondes. Aujourd’hui, elles le sont encore plus, et Brice, debout sur son engin manque de se planter dans un caillou.
Mais ça y est, ce dernier obstacle est désormais derrière nous.
Nous reprenons la route le long du grand plateau qui nous ramène à Photoksar.
Nous croisons des troupeaux de yaks, imposants, mais néanmoins peureux et qui n’hésitent pas à bondir par-dessus les rochers pour nous fuir. La chaussée s’améliore. Mais Marion fatigue, et commence à être à bout de nerf, perdant confiance en elle.
Nous nous octroyons une pause régénératrice au pied de la montagne « marbrée » entourés de terriers de marmottes.
La route est bonne et nous doublons vite Photoksar et nous retrouvons au pied de la longue montée gravissant le col de Sisir.
La piste est lisse, les virages larges.
Nous enchainons les courbes avec une aisance retrouvée et une demi-heure plus tard, nous avons parcouru les 10 kilomètres nous menant au sommet.
À Sisir-la, nous marquons une fois de plus une longue pause.
L’émotion est à son comble.
Les rayons du soleil inondent ce paysage magnifique.
Nous avons un petit pincement au cœur à l’idée de quitter ces lieux qui nous ont tant challengés.
Certaine d’entre nous déborde d’émoi. Tout autant devant la magnificence du tableau dépeint sous nos yeux, que par l’accomplissement de la difficile épreuve qu’elle est parvenue à braver. L’autre moitié du binôme est, lui aussi, impressionné et ému.
Nous redescendons le cœur morose mais les yeux toujours aussi grands ouverts sur cet itinéraire grandiose en direction de la Yaopola.
Ici aussi, le paysage est à couper le souffle. Les montagnes gigantesques, entre coulures sablonneuses et éperons affilés, nous guident dans ce couloir.
Les paysages de garigue font leur retour à mesure que nous nous rapprochons du lit de la vallée et les flots gris de sa rivière. Puis apparaissent les premières cultures qui, accompagnées d’une poignée de rhododendrons roses, illuminent le paysage minéral de leurs couleurs.
Nous nous rapprochons des gorges de la Yaopola.
Les murailles se resserrent en un couloir de pierre étriqué. Les flancs des montagnes se parent de couleurs changeantes en fonction des minéraux et métaux présents dans la roche et présentent des formes diverses en fonction de l’érosion et de la nature de la géologie.
Nous en prenons plein les mirettes, d’autant que le soleil s’invite au plus profond de la gorge, et nous accompagne quasiment jusqu’à sa confluence avec la rivière.
Deux-trois lacets, pour nous perdre dans la pénombre du ravin et nous retrouvons l’asphalte salvateur.
Nous repassons une dernière fois par la gorge spectaculaire ouvrant sur la Yaopola et, comme par un profond respect, nous nous arrêtons religieusement au pied de l’imposante aiguille rocheuse qui garde l’entrée dans cette merveille géologique, comme si tout ceci n’avait été qu’une parenthèse dans l’espace et le temps.
Nous avons bravé, en toute humilité, l’incroyable route qui nous a menés à Lingshed.
Le reste n’est plus que fantaisie.
Bien entendu, le paysage reste immensément beau, mais beaucoup moins impressionnant.
Nous sommes fatigués et nous laissons les rubans de bitume sombre nous ramener à la route principale.
Encore sept kilomètres sur la plus fréquentée* National Highway 1 à travers un paysage lunaire, et nous rejoignons enfin notre destination.
Lingshed – Lamayuru : 121km (08h05’) – done
En arrivant à Lamayuru, nous traversons le paisible hameau en direction de l’hôtel que Manon et Sjoerd nous avaient suggéré. On espère les y retrouver.
Situé au bout d’un chemin sans issue, cet hôtel fraichement érigé dispose d’une vue incroyable sur le monastère et le village en contrebas.
Mais alors que nous arrêtons le moteur de nos motos, nous notons avec déception que le minivan coloré des copains n’est pas présent**.
Dommage, mais nos retrouvailles se feront plus tard, on espère.
En attendant, bien contents d’être arrivés tout de même, nous nous délestons de nos affaires poussiéreuses dans notre luxueuse chambre d’hôtel (négociée à 800₹ ~ 10€ par Sjoerd et Manon), avant de commencer une vaste session de lessive. Gants, pantalons, casques, serviettes en plus de nos habits: tout y passe.
Épuisés, nous nous délectons, le soir venu, de quelques paneer-curry-vegetables dans un buibui du village, et partons rejoindre notre doux super-grand-lit-frais-et-propres-draps-sans-puces pour une longue nuit régénératrice, bien méritée.
‘* En été, les routes sont envahies de groupe d’Indiens – des villes – qui font en vitesse la route du Ladakh.
Ils sont très nombreux (les voitures sont souvent pleines) coupant virages et trajectoires. Les groupes à moto sont les plus redoutables.
Pour la plupart, ils n’ont que des bases de conduite (on notera qu’il freine toujours en débrayant, notamment dans les très nombreuses pentes) se suivent de près et à vive allure.
Enfin, ils sont très souvent à deux : pour diviser le coup de la location !
(Les motards solo ne rentre pas du tout dans cette categorie)Heureusement pour nous, nous n’en croiserons pas tant que ça, mais suffisamment pour apprendre à les laisser passer.
** Nous nous reconnectons à Internet et comprenons enfin comment nous avons pu nous manquer.
Arrivants à la fourche entre Nerak et la route conduisant à Stayang et Lingshed, nos amis ont entrepris de se lancer sur la première.
Malins comme ils sont, ils nous ont laissé un message sur un gros cailloux, seulement 15min avant que nous ne passions au même endroit !
Nous avons malheureusement loupé le message – allez savoir comment on n’a pas vu ce caillou…), et avons poursuivi notre chemin vers Lingshed (nous avions, de toute manière, déjà choisi de ne pas descendre vers Nerak).
Quelques kilomètres plus loin, ils se sont rendu compte que le terrain était vraiment trop mauvais pour leur mini voiture aux mini roues, et que les déclivités étaient trop importantes.
Ils nous raconteront avoir dû faire descendre Manon du véhicule, démonter le filtre à air et les sièges pour grimper une côte impossible…
Devant tant d’efforts, ils se sont ainsi resignés et sont rentrés à Leh, rencontrant au passage, le trio d’Allemands à vélo, que nous verrons le lendemain au village de Lingshed (C’est vous le couple de Français à moto, potes des deux hollandais en minivan ?)
Que de plaisirs de vous lire, vous êtes beaux et ça m’émeut.
Profitez bien de ce magnifique périple.
Je vous embrasse.
Sophie.
Ma-gni-fique
Tu l’as fait Marion ,tu vois tu peux avoir confiance
Au fait ,ils sont drôlement longs tes cheveux
Bravo les bourlingos…
Je n’avais pas fait attention sur le post à l’aller : les photos en plan large donnent le vertige. L’immensité tout autour est impressionnante. Et avec la belle journée que vous avez eu, les couleurs et le contraste sont saisissants
En effet!
C’est vertigineux!
Surtout quand tu prends la peine de retrouver la petit moto dans cet immense tableau !
Wow
Bravo!
Difficile de ne choisir qu’une seule photo pour son fond d’écran !
Ha ha ha….
Sérieux?
Tu fais pas ça?!
Et pourquoi pas ?
Vous allez me demander de l’argent ?
Nan, mais on t’enverrait un format de meilleure qualité
Encore deux allers et retours et vous faites péter votre record de 08:05h pour 121 km. Marion…encore un petit effort. Bravo et merci pour le partage. ppf
vraiment splendide…et moi je l’ai fait aussi…la photo en fond d’ecran!!!
Coucou les amis !!
Encore des photos d’une autre planète.
Comme disait l’idole des jeunes avant de poignarder son copain : « Allo quoi! »
Comment vous devez être content d’être « loin ». Mais le loin pour de vrai! Pas le loin je prends un avion et en 8h j’y suis…le loin genre je sais même pas par où passer 🙂
Par contre dites à vos potes de pas écrire sur les cailloux au feutre Veleda… Si les touristes indiens s’y mettent dans 6 mois ils ont repeint la montagnes aux couleurs de leur équipe de cricket favorite…
Bisous
Mais que c’est beau !
Et quel plaisir de me replonger dans ces paysages, c’est comme une grande bouffée d’air pur !
Je me suis replongée avec délice dans mes photos de l’époque ! Vous n’y couperez pas un jour ou l’autre. C’est pas fréquent qu’on trouve des gens à qui on puisse parler de cette vallée quand même !
Bisous
C’est noté !