À huit heures et demie du matin, Garkune est encore tout endormi, pas une âme dehors, et on entend seulement le doux tintement de l’eau qui glisse sur les cailloux.
Nos sacs sur le dos, nous remontons les divers aqueducs pour doubler le monastère et rejoindre nos motos, laissées à l’entrée du village.
Une bonne rasade d’eau rafraichissante, nos bagages bien arrimés, et nous nous élançons sur les quelques lacets raides et glissants nous ramenant sur la route – pas facile comme épreuve de si bon matin.
Comme la veille, nous sommes les seuls à emprunter cette voie, et nous comprenons une demi-heure plus tard l’une des raisons. Un glissement de terrain a précipité la route dans le lit du fleuve sur toute la largeur de la chaussée. À cet endroit, la rivière coule à gros bouillon dans un vacarme continu et des vagues frénétiques viennent s’écraser sur le rivage.
La route est clairement coupée sur quelques mètres. Mais l’armée travaille déjà à combler le trou béant grâce aux rochers, apportés par de lourds camions qui vont des aller-retours avec la « carrière » voisine. La pelleteuse le charrie tout autant qu’elle attaque le bord opposé de la route.
Nous attendons patiemment avec une demi-douzaines d’autres véhicules et les officiers qui supervisent les opérations de réparation, de part et d’autre du trou.
Encore une fois, l’intérêt stratégique de cette voie de communication menant à la frontière avec le voisin pakistanais en fait une route prioritaire parsemée de checkpoints et campements militaires. Une heure d’attente à regarder les engins à l’œuvre, et la pelle mécanique tasse un étroit chemin de sable d’une trentaine de centimètres de large, pour que nos motos puissent passer.
Un petit coup de – notre puissant – klaxon de gratitude et nous repartons, seuls, sur la route.
Malgré les quelques villages brokpa qui apportent une touche verte réconfortante, le paysage est toujours aussi sec et austère mais n’en demeure pour autant pas moins beau et grandiloquant. Les montagnes encadrants le puissant fleuve Indus sont impressionnantes. Nous avons l’impression de voyager à travers les paysages d’Amérique du Nord.
Serait-ce encore une fois notre isolement sur ces routes désertes, mais nous nous sentons humbles entourés de ces gigantesques éminences de roche et de sable.
La route est belle, la chaussée de bonne qualité, mais nous roulons à un rythme tranquille, et faisons de nombreuses pauses photos, coupant ainsi le moteur plusieurs secondes pour profiter pleinement de l’ambiance sauvage.
Mais cela nous épuise petit à petit et Marion voit de très bonne augure la visite d’un site de pétroglyphes aux abords du village de Damkhar.
Pas aussi anciens que les peintures rupestres de Bhimbetka en Inde, ces marques de nos ancêtres daterait de plusieurs milliers d’années à quelques siècles après Jésus Christ.
La plupart sont des représentations d’animaux ou parfois de figures abstraites ou démons.
Cependant, certaines gravures sont des sinogrammes (oui oui, venant de Chine !) prouvant que cette route devait déjà être empruntée par des marchands ou voyageurs sur la Route de la Soie.
À deux pas de ce site se trouve une ferme d’abricots.
La famille qui la tient nous propose de nous servir le repas, et dans la longue attente de sa préparation, Brice se goinfre une dernière fois d’une demi-livre de ces fruits. Ils ont notamment une variété exquise d’abricots que nous n’avions jamais goutée. La peau et la chair sont blanchâtres, le fruit est très sucré mais aussi légèrement acidulé. Presque comme un brugnon. Nous salivons encore à l’écriture de ce post.
Nous repartons à la limite du mal de ventre pour la moitié d’entre nous.
La route est toujours aussi belle, et encore plus désolée et déserte. Si ce ne sont un ou deux villages installés sur la rive opposée, nous demeurons seuls à glisser sur ce lisse asphalte.
La géologie des roches plongeant dans le fleuve est impressionnante.
Les divers minéraux colorent les montagnes de couleurs rouge orangé, pourpre ou vert anis qui coulent le long des versants ou dessinent des lignes droites barrant les parois.
Les strates sont parfois presque verticales, tandis que la rivière grignote ses berges sablonneuses dans son cours impétueux.
Après plusieurs heures, nous rejoignons la confluence du fleuve et l’intersection avec la National Highway 1, route principale ralliant Leh à Kargil. La ville de Khaltsi est un premier choc pour nous, nous sommes pour la première fois confrontés au tourisme à travers le Ladakh, ou du moins ses marques*. Cette petite ville n’est qu’une succession de restaurants de route, d’hôtels pour locaux et de superettes bien achalandées.
Celles-ci nous permettront de faire le plein de victuailles pour notre escapade des prochains jours.
Nous ferons aussi le plein de nos réservoirs et jerricans. Là où l’on va, nous sommes certains de ne pas trouver de carburant.
Puis nous nous engageons pour quelques kilomètres sur la route nationale, celle des camions, des bus et des travelers, (minivans pour touristes).
Ici encore, nous sommes désolés de retrouver des détritus et bouteilles en plastique jetés par les automobilistes. Est-ce que le tourisme de masse ne peut apporter que effets négatifs à ces paysages ?
Au bout de quelques kilomètres à parcourir les gorges qui encadrent la route, nous bifurquons pour rejoindre la vallée de Yaopola et parcourir la dizaine de kilomètres sur la très bonne route qui nous sépare du petit village de Wanla, malgré quelques éboulis ici et là.
Garkune – Wanla : 096km (07h37’) – done
Au sommet d’une crête, le gompa domine le village. Nous en faisons le tour, tournant les quelques moulins sur notre passage. Depuis ce promontoire, la vue est incroyable. Les montagnes s’ouvrent pour laisser couler la Yaopola d’un côté et la Shillakong de l’autre, d’où s’étalent cultures et berges sableuses.
Et nous profitons des derniers rayons du soleil sur les champs de blé, attendant d’être moissonnés.
Le village n’a aucun intérêt en lui-même, et nous logeons chez l’habitant. Ce n’est pas Byzance, mais ils sont très gentils, et font tout leur possible pour nous accueillir au mieux (Marion se ravie de goûter les skew, des genres de pâtes et notre hôte nous fera enfin tester le chang, cet alcool de blé fermenté).
Mais pourquoi sommes-nous arrivées à Wanla et nous enfonçons-nous dans la vallée de la Yaopola?
Nous avons entendu parler de cette vallée très peu visitée et très reculée – à côté, Zanskar, c’est Disneyland – et aux paysages magnifiques – pour changer. C’est ainsi que l’ivresse de ces vallées encaissées et montagnes à l’infini nous appelle.
Quand nous avons parlé de cette route à Sjoerd et Manon, ils nous ont rapportés que d’après les dires, la route aurait été refaite et serait ainsi parfaitement praticable.
Parfait pour convaincre Marion que le trajet ne sera pas une nouvelle Route de Padum.
Avec le peu de connexion internet que nous avons, nous parvenons à régler nos plannings, pour nous retrouver, d’ici quelques jours, au bout de cette fabuleuse route.
‘* Cela n’est pas très modeste de vouloir fuir les touristes quand nous en sommes nous-même.
Cependant, le tourisme en Inde est en plein essor. Et la fréquentation du tourisme local dans ces régions est exponentielle (d’où les craintes que nous exprimions concernant la région de Padum).
La plupart de ces nouveaux touristes, viennent découvrir les splendeurs exotiques du Ladakh (personne n’a jamais vu de neige en Inde) et en toute hâte (dans le temps que leur offre leur employeur), souvent en dépit des règles de sécurité de base (risque de mal d’altitude en l’occurence). Ils s’entassent dans des voitures pour parcourir la route en une semaine, et aller manger dans les punjabi dhaba qui ornent les routes.
Si la plupart se cantonne à la route Manali-Leh, certains pousse un peu plus loin, notamment jusqu’à Lamayuru, très peu jusqu’à Kargil. Enfin, la région du Kashmir à très mauvaise presse, la plupart des Indiens ayant peur de s’y rendre (comme les Chinois Han au XingJiang).
oh, les beaux abricots dont nous sommes si friands …
C’est génétique !
Je ne connaissais pas le mot « pétroglyphes » même si en fait j’en ai déjà vu a minima au Wadi Rum en Jordanie. Très jolis.
C’est un champ de Stupas (ou de yourtes 😉 qu’on voit sur votre photo ?
Hormis autour des villages où l’on voit un peu de verdure, les paysages sont désespérément secs, arides (ou 100% minéraux). Vous étiez à quelle altitude ? Car avec les fleuves, la région est quand même arrosée, aussi bien par la fonte des neiges qu’au moment des moussons (si y’en a au nord de l’Inde) ?
Pas de yourtes à ces latitudes, les gens mis à part les bergers en transhumance, les gens ne sont pas nomades ici.
Ce sont donc bien des stupa.
Concernant l’attitude, nous devient être autour de 2800m (Garkoune étant à 2700m). Mais les imposantes chaînes de montagnes préservent ces régions des moussons qui proviennent du Sud.
Dans toute cette zone géographique, il n’y a quasiment pas de précipitation.
L’irrigation ne se fait que par captation des sources ou plus généralement canalisation des rivières glaciaires.
Merci pour la réponse. C’est un peu comme plus au nord dans le Pamir. Peu de précipitation (hormis la neige en hiver) et surtout l’irrigation via les rivières provenant des glaciers
Bravo pour le titre, j’ai bien rigolé !
Je vous souhaite de trouver dans la Yaopola mon Zanskar d’il y a 30 ans ! J’ai bien retrouvé les paysages, les couleurs…sans la route évidemment !
Hummm.
L’appel de cette nature immense, ocre, au milieu de ces mastodontes rocheux et seul….
Ca doit être enivrant.
L’envie de continuer à l’infini…
Coucou les jeunes !!
Que dire devant tant de « grandiosité »…
Certaines photos sont si profondes que l’on a même pas besoin de lunettes 3D pour se sentir absorbé par le relief encaissé des vallées ou pr le contraste du vert sur les tons minéraux…ici couleurs et volumes transmettent tous deux autant de puissance.
Bonne route!
Merci pour ce post. L’échelle déterminée par la photo avec l’enfant nous montre la grandeur de ces petroglyphes. Quant à la moitié d’entre vous étant à la limite du mal de ventre…on devine de qui il s’agit…!!!.