Au cours de ces derniers mois, nous avons de plus en plus choisi de vivre chez l’habitant.
Peut-être est-ce dû à un besoin de se sentir accueillis, à un manque croissant d’intérêt de notre part pour les sites touristiques, ou peut-être est-ce une transition vers une autre manière de voyager, on ne sait pas trop.
Finalement au cours de notre petit mois entamé à Sulawesi, ce sont surtout nos expériences généreusement encadrées qui nous ont le plus touché, qui ont fabriqué les plus beaux souvenirs.
Nous sommes en recherche de rencontres avec les locaux afin de mieux nous immerger dans leur quotidien, de mieux comprendre la culture et les habitudes autochtones, de vivre les choses de l’intérieur, en famille, entre amis, entre les murs d’une maison traditionnelle au toit pointu.
C’est ainsi que nous sommes accueillis par Ian et sa famille. On ne compte plus ses grands-parents. Dans cette famille, les cousines des cousins des grands-pères sont considérées comme des grands-mères, et il en est de même pour les tantes et oncles de ces grandes familles.
C’est chez MaSemo et Kuba, les « grands-parents-cousins » que nous trouvons donc le logis. Par politesse et habitude, MaSemo s’appelle ainsi puisqu’elle est la maman de Semo, son premier fils. Mais en vrai, elle s’appelle Dina.
Kuba est trop fier de se présenter ainsi, comme le nom du pays nous dit-il, mais son nom de scène est Ne’Wa.
Et dans l’histoire Ian est un cucuk, un « petit-enfant », parmi les dizaines et dizaines que compte la famille. Elle habite à Yogyakarta, et écrit un livre sur les us et coutumes des Toraja, les habitants de la région. Elle est venue passer quelques mois, au bled, chez ses grands-parents. Nous sommes dans un hameau, derrière un tout petit village. Il n’y a pas de transports qui y mène, mais un peu de marche après la route principale et nous y voilà. Nous y passerons une grosse semaine accueillis et présentés à tous comme les « enfants de Kuba ». C’est simple et « comme à la maison », tout le village nous connait et petit à petit (sidikit sidikit, lama lama jadi bukit comme on dit ici), les bule et mister sont remplacés par de chaleureuses attentions.
La maison de MaSemo et Kuba est immense. Dans un grand jardin sont installés trois alang (greniers à riz) et un tongkonan, entièrement construits en bois. Le tongkonan est l’élément fédérateur des familles, une salle de rassemblement plus qu’une maison. C’est ici qu’on se retrouve pour discuter des problèmes internes ou qu’on se réunit pour un mariage (Rambu Tuka) ou une cérémonie funéraire (Rambu Solo). Son toit, à la silhouette atypique, évoque une selle à cheval ou les cornes du buffle, tout comme l’énorme tête sculptée que l’on trouve sur les façades.
Le buffle (kerbao) est l’animal sacré des Toraja, en sus d’être l’animal privilégié dans le travail des champs, il est aussi reconnu comme étant le « véhicule des morts vers l’au-delà ».
Quant au tongkonan en lui-même, c’est un édifice monumental aux formes dénuées d’utilité, mais au charisme inégalable. Et quand on se tient à ses pieds, on se demande si cette étrange allure ne serait pas le vaisseau qui aurait mené les lointains ancêtres des Toraja depuis un autre monde en ce lieu si reculé.
Les assemblages des poutres et linteaux semblent parfaits. On dirait un puzzle géant, dont la moindre pièce de bois semble utile. Les morceaux s’imbriquent les uns dans les autres, en enfilade. On ne voit aucun clou, ou fixation. Les éléments se maintiennent entre eux en un solide équilibre.
Tout le tongkonan est extérieurement peint et finement décoré. Le rouge, jaune et noir des peintures accompagnent les fresques sculptées.
Les spirales, arabesques et autres formes géométriques rappellent le soleil, les vagues, les buffles, …
C’est l’Histoire des Toraja qui se raconte sur ces murs.
Nous sommes installées dans une petite partie de la maison bétonnée. La cuisine est rudimentaire, mais on aime retrouver ces foyers qui sentent bon le feu de boi, les murs en bambou, les marmites qui mijotent, l’eau qui bouille en permanence, et accroupie comme souvent devant son foyer, MaSemo prépare le repas. Nasi, sayur, babi (riz, légumes – ici on consomme beaucoup feuilles de tapioca, cochon).
Car les Toraja mangent du cochon. Ils sont chrétiens depuis la vague d’évangélisation des années 1970, et cette religion ne leur interdit pas de se nourrir de cet animal, considéré comme impur dans le reste du pays. Voilà : pour nous, c’est le grand retour du cochon après de longs mois d’abstinence, et nous allons bien en profiter. Matin, midi et soir, cuit à l’étouffé dans un bambou (piong), mijoté au wok avec des épices, du curry, du gingembre ou du ketcap (sauce soja épaisse), bakso babi et autres cochonnades, c’est la fête du cochon (ainsi que pour nos poignées d’amour!).
Le matin, nous sommes réveillés par le chant incessant des volailles qui attendent leur petit déjeuner. Poules, coq et ribambelles de petits poussins piaillent à tue-tête. Les trois cochons noirs (une truie enceinte, un petit, et un moyen) grognent et s’agitent, et les chiens aboient.
MaSemo et deux autres vieilles tantes sont déjà installées dehors. Le sac de riz complet est en train d’être triés sur ces tamis ronds tissés qu’elles manient avec dextérité. Pas un seul grain ne tombe à terre.
Nous allons vivre ici au rythme tranquille du soleil. La vie est paisible et on se sent bien dans cet environnement empreint de traditions et de grande famille au milieu des paysages de montagnes, de rizières et de falaises karstiques.
Et nous nous baladons en mobylette, sur les routes sinueuses et défoncées des villages.
Dimanche, c’est jour de messe. Et pas n’importe laquelle, on fête ThanksGiving (Ah ouais ?) pendant laquelle on célèbre la dernière récolte.
C’est avec un peu d’appréhension que nous nous dirigeons vers l’église. A force de dire qu’on est chrétiens à tout le monde (pour simplifier les questions/réponses) dès qu’on nous pose la question, on se demande à quelle sauce on va être mangé devant le prêtre indonésien…
En arrivant au village, un pare-terre de gens est déjà installé sur de grandes nattes colorées. L’ambiance est familiale. Les haut-parleurs crachent les louanges et paroles divines chantées à la cantonade, tandis que nous papotons avec Ian, qui s’avère aussi pieuse que nous.
Une fois la messe terminée, les thermos de thé sont ouverts, d’odorantes saveurs émanent des bento, les plateaux se remplissent de poissons cuits et les piong (riz cuit avec du lait de coco, à l’étouffée dans un bambou) sont ouverts et découpés.
Après une ultime bénédicité, le repas dominical peut commencer. On se sert à la bonne franquette indonésienne dans des kartas makan, et nous nous en sustentons goulument.
Un spectacle de danses traditionnelles est présenté, les gens font des donations aux jeunes et jolies danseuses qui reverserons ensuite cet argent à la paroisse.
Puis des enchères sont organisées pour vendre les nombreux piong offertes par les familles.
Qui en retour en achètent d’autres. On y propose également tête de babi, couteau et sac de riz.
Nous profitons d’être au cœur du pays Toraja, pour aller visiter les villages de Kete Kesu, Lemo et de Londa.
La culture Toraja est extrêmement riche et emplie de traditions ancestrales, dont beaucoup sont liées à la mort.
Ainsi, sur les parois rocheuses entourant les villages, des cercueils en bois sont suspendus. En plus ou moins bons états, et surtout moins, ces derniers sont posés sur des structures en bois, en porte-à-faux. Et plus ou moins en hauteur. Tout en haut, ce sont les caveaux des riches familles.
Le cercueil est en bois sculpté. En forme d’animal parfois. A l’intérieur, plusieurs corps sont installés. Aujourd’hui, on aperçoit surtout les crânes et autres ossements tentant de s’échapper de leur contenant. Mais à Londa, certains cercueils présents sur les parois des falaises sont récents. De jolies boîtes en bois vernis, croix chrétienne sur le devant et voile pour le protéger. Parfois, on tombe même sur d’immenses sarcophages de quelques 20 mètres de long et 5 mètres de haut, ceux-ci accueillant certainement une grande famille sur plusieurs générations de défunts. Ce contraste entre passé et présent est déroutant et saisissant. Ce qui apparaissait comme une simple tradition se révèle être toujours d’actualité malgré la conversion au christianisme. Il y a donc aussi ici de « jeunes morts ».
En arrivant sur le site de Londa, Ian s’est d’ailleurs annoncée auprès de son « grand-père » installé ici.
Dans les cavités que comporte cette grotte, de nombreux cercueils sont entreposés. Les familles viennent y faire des offrandes, cigarettes, rupiah, boissons et vêtements, le mort est toujours présent.
Les crânes sont posés sur d’autres cercueils, eux –mêmes superposés les uns sur les autres. Et comme dans un film de Tim Burton, on s’attendrait à ce que ceux-ci se mettent à chanter une ode funeste, et à se mettre en mouvement. La lumière entre par un étroit puit, rendant l’atmosphère encore plus mystique mais jamais sinistre, plutôt insolite. Il y a quelques photos, des toiles d’araignées et de la mousse qui commence à attaquer certaines boîtes.
L’ambiance est empreinte d’irréel et de tristesse, de magie et de croyances « improbables », mais jamais de macabre.
Enfin, sur les façades de ces grottes, on peut voir quelques statues (appelées tau tau) installées dans une tribune surplombant les tombes en contrebas. Elles sont la représentation, sculptée à l’échelle des défunts. C’est un peu une photo de famille qui se présente devant nous, un gradin de spectateurs qui observent la vie qui défilent devant eux. Ils nous regardent. Ils semblent si vrais et si présents.
Le processus de l’acceptation de la mort chez les Toraja se fait en plusieurs étapes.
Le premier stade, au moment de la mort, est la préparation du corps pour être momifié.
Il est vidé de ses fluides, asséché pour être ensuite déposé dans la maison de la famille, dans une chambre. Ainsi, quotidiennement, la famille pourra venir lui parler et lui apporter un plateau repas (qui sera récupéré deux heures plus tard, ben il a encore rien mangé). Il est considéré comme malade, et est donc encore « présent ».
Ian nous racontera qu’elle avait même dormi avec feu sa grand-mère parce qu’elle l’aimait beaucoup.
… euh…
La momie est gardée ainsi pendant plusieurs semaines, mois, voire années (8 ans pour la « grand-mère » en l’occurrence), le temps pour la famille de récolter suffisamment de fonds pour payer la cérémonie funéraire et le sacrifice des buffles.
Voilà, nous y sommes.
Les Toraja doivent sacrifier au moins un buffle, qui sera le véhicule du défunt dans l’au-delà. Puis, en fonction de la richesse de la famille, quantités de buffles seront sacrifiés à leurs tours. On peut aller jusqu’à 100… le top du top étant de tuer un buffle albinos, animal très cher et très rare. En se renseignant, on apprend qu’une simple bête coûte entre 20 et 50 000 000 rupiah et qu’un buffle albinos (kerbao bule) près de 150 000 000 rupiah (soit env. 9600€).
La cérémonie des funérailles a donc lieu bien plus tard, dans un deuxième temps.
Le troisième temps est la phase la plus étrange.
On ré-ouvre le cercueil pour changer les vêtements du défunt.
Et comme cette cérémonie coûte très chère également, elle peut avoir lieu quelques trente années après le décès. Mais cette partie est surtout réservée aux familles les plus riches. Et à cette occasion, les vêtements des tau tau sont également changés.
Nous avons pu voir quelques vidéos… c’est étrange… nous ne trouvons pas de mot…
Et bien sûr, tous ces rituels sont accompagnés de prières chrétiennes, de prêtres habillés d’aubes blanches et cierges à la main, chantant yessusss chrissstusss…
Le Christianisme a débarqué il y a moins de 50 ans. Auparavant, les Toraja étaient animistes. C’est peut-être un complexe mélange de toutes ces croyances anciennes et nouvelles qui ont fait que les traditions actuelles sont si fortes et intenses.
Ian nous explique tout un tas de choses. Sa famille, ces croyances et ces rituels. Cette culture omniprésente et qui rend les habitants fiers d’être orang toraja.
Nous passons du bon temps ensemble. Nous visitons les tantes et autres membres de la famille. Dans ces minuscules villages, tout le monde se connait, tout le monde est de la même famille, et tout le monde nous accueille volontiers d’un excellent kopi et kue toraja. Avec Ian, on a très vite accrochés, cette fille a du bagout, ça change.
C’est spontané et simple. On est bien potes. Elle nous invite à rester plus longtemps, ou à l’inverse, elle nous demande de ne pas partir.
Et ce séjour qui s’allonge chez les Toraja à la tradition forte – chrétiens de surcroit, nous l’acceptons avec soulagement.
Si les églises remplacent majoritairement les mosquées, c’est le paysage social qui change réellement et les contraintes rencontrées dans les régions musulmanes se détendent.
Contrainte sur le timing, sur la manière de s’habiller pour Marion, contraintes dans les relations hommes-femmes plus ségréguées… et puis ici, on peut manger du babi !!!
Jamais nous ne sommes restés aussi longtemps quelque part, et nous serions bien restés en vacances en famille avec Ian plus longtemps.
Mais notre condition de bule en transit nous rappelle à la raison : notre visa arrive une seconde fois à expiration, et nous avons décidé de l’étendre de nouveau.
Notre prochaine étape sera donc à Gorontalo.
Et c’est en quittant la région que l’on se rend compte du bien être que nous avions à vivre en pays Toraja. Un îlot au cœur de Sulawesi.
preums
Et vous êtes où là évouzétoulà ?
Bâtard ! Trop lent mon iphone …..
Superbes maisons bien que je n’ai pas bien compris la forme du toit
Un peu de repos vous fait du bien pour repatire vers de nouvelles aventures
Trop ouf ce post. Les gens ont l’air de vivre bien, avec l’essentiel et sans superflus.
Le bonheur quoi.
Yo yo yo, c’est la saint Sergio aujourd’hui, j’ai un preum’s gratuit pour la peine.
Tout pareil que Le meilleur poto de Brice, c’est oufesque.
Moi j’aurais sacrifié le chat plutôt. En plus c’est un chat noir.
Bises
Superbes les maisons!
Et ils en font quoi des buffles sacrifiés?
Pourquoi c’est le véhicule? Comment il emmène le défunt?
La suite au prochain épisode
superbe ouais les maisons…
et vous n’aviez pas dit que vous avez eu un enfant en bourlingue : là on le voit bien jouer avec Brice 🙂
Incroyable…
Dingue l’histoire des défunts qui restent momifiés dans la famille… ça doit sentir bizarre non ?
Vous devenez un peu des ethnologues non?
Bonne continuation les amis !
c est passionnant………….. Dany (amis de Joce)
Gue-din ce post !
On se rend bien compte que vous vivez des choses uniques ! Donc merci de nous le faire partager ! 🙂
Bon vent !