Pour ne pas précipiter notre retour et nous reposer de la fatigue des deux derniers jours, nous décidons de passer une journée à Keylong avant de reprendre la route. Il y aurait de belles balades à faire, mais la fatigue emmagasinée dans nos corps est plus forte que notre motivation.
Ainsi la journée prend un rythme tranquille. Nous profitons du calme de l’hôtel pour faire la grâce matinée, du soleil pour bouquiner dans le jardin, d’internet retrouvé pour envoyer quelques messages, de l’abondance d’eau pour laver des vêtements, et des restau’ pour nous délecter de lassi et autres spécialités culinaires locales (comme le boudin de biquette ou des momo).
La curiosité et l’attrait du paysage montagneux autour de Keylong nous fait tout de même sortir de notre tanière pour une courte balade dans les environs.
Le village rapidement traversé, nous rejoignons les pentes abruptes où s’étendent vergers et cultures maraichères. Dans les champs, quelques femmes, fesses en l’air, s’affairent à récolter choux et carottes. Des hommes portent de larges bottes de foin, qui sont entreposées dans le grenier des maisons pour les animaux après l’été.
On sent que les hivers se préparent tôt dans ces contrées… Tout comme on l’avait vu à Rangdum, alors que les bouses séchaient sur les murets encerclant les habitations.
Nous progressons en direction de la rivière, où le sentier descend à pic, 300m en contrebas. Le chant des remous qui résonnent dans cette gorge encaissée nous appelle, et nous atteignons rapidement le frêle pont qui enjambe la Bagha.
Le moment est paisible, entre rivière et doux son de ses eaux agitées, soleil et potager. La lassitude ne nous fera pas aller plus loin. Nous prenons notre temps pour regrimper, essoufflés, le raide chemin qui nous mène au village, où nous terminons paisiblement notre journée.
Après un copieux petit-déjeuner chez notre papy-buibui, nous enfourchons nos motos et rejoignons la route principale. Nous devons continuer notre chemin en direction de Manali puis de l’Inde que nous redoutons.
Le ciel est parsemé d’épais nuages, accrochés aux sommets des montagnes.
Nous longeons la rivière qui nous mène à une large vallée vert clair où pullulent les cultures en terrasse. C’est un vaste tapis végétal qui se déroule, entre pommes de terre, choux, épinards et carottes.
Les conifères occupent désormais les flancs rocailleux de ces massives montagnes. Dans les failles, quelques parties encore enneigées en cette période de l’année, fondent abondement, créant chutes d’eau en cascades.
Devant nous, quelques drapeaux bouddhistes flottent, quelques paysans s’affairent dans les champs, et le parfait ruban asphalté nous accompagne vers l’Est.
Après le col de Baralacha, le village de Darcha et la route vers Keylong rejointe l’avant-veille, nous pensions que la chaussée ne serait désormais plus que bitume lisse et large chaussée.
C’était avoir occulté la redoutable épreuve du Rothang-La.
Culminant à 3978m alt., le col est infranchissable sept mois dans l’année, enfoui sous plusieurs mètres de neige. Il est réputé comme difficile : très humide, neige et blizzard peuvent apparaitre soudainement, même au mois d’Août – son nom viendrait d’ailleurs des mots farsi Ruh et Tang qui veulent dire tas de corps morts.
Sympa.
On se dit cependant qu’avec la quantité – relative – de personnes qui y passe chaque jour, et après ces 6 semaines à moto, ce ne devrait pas être bien compliqué pour nous d’autant qu’il n’est pas vraiment pas si haut… qu’on croit.
Nous arrivons au dernier checkpoint, qui signe notre sortie de la région du Lahaul, et quittons la douce route qui continue en amont de la rivière Chenab et, plus loin, vers la très belle vallée de Spiti*, pour les innombrables lacets menant à Rhotang-La.
Rapidement nous prenons de la hauteur, quittant le lit de la rivière.
Notre route, quant à elle, semble avoir été emportée par un récent glissement de terrain**.
Aussi, elle se transforme soudainement en une piste poussiéreuse et défoncée, parsemée de larges cailloux. La conduite est difficile sur cette rampe à la pente prononcée, nous sommes en première, tentant d’éviter ces obstacles pierreux qui jouent avec notre équilibre. Nous passons les trous, évitons les véhicules venant en contre sens, zigzaguons entre les caillasses, doublons les lents camions, glissons sur les tas de poussière, évitons la boue, et enchainons les virages les uns après les autres, espérant le retour rapide de l’asphalte qui apparait enfin.
La chaussée s’élargit, la circulation est faible, ce qui nous offre un peu de répit.
Nous sommes à 3300m alt. L’air se rafraichit, le ciel se couvre, mais des patchs bleus nous accompagnent encore.
En levant la tête en direction des cimes, quelques minuscules véhicules nous indiquent le chemin qu’il nous reste à parcourir.
Nous enchainons les virages, prenons de la hauteur, tout en nous délectant du paysage verdoyant des pans de montagnes ponctués de cultures. Au-dessus de nous, une vague nuageuse lancinante provenant du col s’écoule sur les pentes que nous arpentons et engloutit les sommets.
Passer la magie du moment, nous réalisons que c’est dans cette direction que nous nous dirigeons. L’épais brouillard recouvre soudainement le paysage, fini par nous envelopper et nous voiler la vue.
De fines gouttes viennent s’accrocher à nos visières. Ça y est, nous sommes dans le nuage.
Sans trop nous en rendre compte, nous rejoignons et doublons le col. D’ici, la vue est apparemment magnifique… les rares fois où le temps est clair. Aujourd’hui, nous sommes dans une mer blanche. Et avec la pluie, le vent, le brouillard et l’altitude, ça caille.
Nous redémarrons rapidement, pensant innocemment que, comme sur le versant Nord, il nous ne faudra redescendre que de quelques mètres pour passer en dessous du nuage.
Cela aurait été trop facile.
S’en suit alors 1h30 de lacets dans les nuées humides. Si au début ce n’était que condensation ruisselant sur nos vêtements presque-imperméables, la bruine se fait, au fur et à mesure, de plus en plus dense.
Notre pourtant faible vitesse rend néanmoins le voile de crachin invasif. Les gants sont trempés, les mains mouillées s’engourdissent de froid. Visière relevée pour réduire la buée, les gouttelettes nous fouettent les pommettes rafraichies tandis que nous subissons le clapotis des gouttes sur nos casques. Les précipitations s’intensifient légèrement rendant la chaussée un peu plus glissante, imposant un surcroit de vigilance pour éviter des nids de poules et zones accidentées.
Heureusement, nous sommes quasiment seuls, le trafic est faible, et nous traversons qu’une poignée de petits villages où la route n’est plus que boue et flaques de boue. Les mains bien serrées sur le guidon, c’est au pas que nous la parcourons : la boue à moto, c’est galère. Tentant habilement de doubler les camions et bus aux échappements nauséabonds.
Nous nous remontons le moral à tour de rôle, ce moment ne fait pas partie des plus faciles. Nous ne faisons pas de pauses – à quoi bon ? – déroulant les kilomètres pour sortir au plus vite du nuage. Quelques semblants d’éclaircies nous donnent du baume au cœur, alors que la bruine reprend de plus belle au virage suivant.
Le paysage qui défile lentement se résume, d’un côté, à un ravin qui se perd dans un épais brouillard grisâtre, et de l’autre un pan de 20 mètres de falaise rocheuse à la végétation de plus en plus luxuriante où fougères et autres plantes se délectent de ce climat humide.
Le décor est incroyablement végétal, les cascades sont légions, l’eau coulent sur les parois et nous nous amusons à imaginer l’univers dans lequel nous évoluons.
À mesure que nous descendons, le paysage change.
Au détour d’un virage, nous traversons une courte langue de glace, où quelques voyageurs se prennent en photo, amusés de cette épaisse couche de neige***. Quand on pense qu’il y a deux ou trois mois, elle faisait 5 ou 6 mètres de plus.
Le brouillard se fait plus ténu, et nous pouvons apercevoir les lacets qui s’enchainent en contrebas.
Nous parvenons enfin à passer sous le nuage et poursuivons notre descente. La diversité des paysages est magique et nous fait bien vite oublier notre frustration. Les falaises de pierre ont laissé place à des pentes verdoyantes où s’écoulent une multitude de chutes d’eau.
Plus bas encore, la route nous fait traverser une épaisse forêt de conifères.
Le trajet semble interminable, et malgré les faibles précipitations, nous sommes rincés.
Encore quelques virages et nous approchons des premiers villages. Nous trouvons un petit resto’ où nous nous octroyons une pause bien méritée. Le temps de quelques chapati et chai, nous nous égouttons, et repensons à ces dernières heures.
On comprend mieux pourquoi tout le monde évoque le passage du col de Rhotang comme un moment imprédictible et une épreuve éprouvante. Ce matin a été une difficile épopée
Nous sommes maintenant à 2100m alt. La région de Manali s’ouvre à nous.
Après avoir contourné un impressionnant glissement de terrain (qui avait tout de même fermé la National Highway pour deux jours), l’urbanisation et la circulation s’intensifient. Nous continuons sur la route principale bordée d’auberges, de taxis, ou de barraques louant des combinaisons de ski d’un autre temps – les intégrales de notre enfance aux couleurs fluo’ affadies***, doublant ainsi Manali. Nous avons fait le choix de ne pas faire étape dans cet ancien village, devenu trop vite trop touristique. Nous sommes contents de ne pas nous y être arrêtés.
Nous prenons donc notre mal en patience et mettons le cap sur Naggar, quelques dizaines de kilomètres en aval. Plutôt que la route principale, nous empruntons la route secondaire évoluant de l’autre côté de la vallée.
Le trafic y est beaucoup moins soutenu.
En quittant Manali, notre itinéraire nous éloigne des constructions modernes de béton pour nous conduire entre jolis villages aux maisons de pierres et aux vergers chargés de fruits. Le temps devient plus clément et la pluie déjà éparse, cesse désormais. Les quelques passages à travers des forêts alpines offre un décor baigné par les rayons du soleil traversant la brume.
Il nous reste encore une bonne heure de route pour atteindre le village de Naggar.
Les derniers kilomètres se font en fatigue et hâte pour Marion. Nous sommes impatients de nous sécher.
Posé dans un environnement humide, le village de Naggar surplombe la rivière Beas sur son versant oriental.
Il y règne une atmosphère paisible où les ruelles piétonnes invitent à de nonchalantes déambulations.
Nous grimpons sur les hauteurs du village et trouvons refuge dans une petite homestay sans prétention, et décidons d’y passer les deux prochaines nuits. Ça ira très bien avant de poursuivre en direction de Chandigarh et de la redoutable Delhi… et essorer tout notre attirail !
Keylong – Naggar : 138km (06h34’) – done
Autrefois capitale du Royaume de Kullu, Naggar est désormais un petit bourg pittoresque oublié par les masses touristiques. Durant notre séjour, nous prenons le temps de nous perdre à travers les méandres de ses calmes venelles.
Nos promenades nous font découvrir la richesse patrimoniale de ce village perché. Le château, construit au XVIème siècle, abrite aujourd’hui un luxueux hôtel dont les sculptures de bois recouvrent murs et plafonds. Les maisons de pierre, aux structures de bois apparentes et toits en ardoise, les façades colorées, les animaux installés au rez-de-chaussée tandis que les mamies nous saluent depuis leurs balcons et les pommiers qui abondent dans les jardins, nous confortent dans notre choix de séjourner ici.
De larges et lourdes pierres forment les escaliers qui serpentent parmi les jardins, les vergers, les étables et les habitations cossues. C’est un labyrinthe qui monte et descend.
Les montagnes environnantes sont chapeautées d’épais nuages. La mousse et l’humidité qui recouvrent murs et ruelles, laissent à croire qu’ils sont souvent présents et créent un univers où la nature règne. Le temple hindou remplace désormais les monastères bouddhistes, et nous interpellent de leur architecture atypique.
Notre rythme est tranquille, et la météo nous invite à l’oisiveté. Nous buvons chai et jus de pomme et nous délectons de glace à la mangue. Nous faisons la connaissance d’autres voyageurs, et discutons sur le toit de notre maison profitant de la vue sur la vallée et des pizzas cuites au feu de bois par notre hôte.
Une fois encore, nous rechargeons nos batteries avant d’attaquer la dernière ligne droite, direction Chandigarh.
Défi d’autant plus difficile que la météo des prochains jours ne sera pas clémente.
Heureusement, cette perspective peu réjouissante est compensée par l’idée d’y retrouver Amarbir, Auntie Jasbir et Uncle Surjet.
‘* Il y a quelques semaines, la vallée de Spiti, ses villages isolés, ses paysages éblouissants étaient au programme de notre voyage à moto, mais nous avons décidé de prendre notre temps. On ne peut pas tout voir. Ce sera pour une prochaine fois.
** C’est courant dans ces régions où les précipitations sont plus fréquentes et intenses que dans le Ladakh aride. On ne peut que saluer la réactivité et l’efficacité des équipes du BRO.
*** Pour la très grande majorité des Indiens, le spectacle de la neige et des étendues de glace est plus qu’étranger. La classe moyenne grandissante, qui commencent à voir accès au tourisme, se déplacent donc en famille dans des monospaces pleins à ras bord, ou entre amis dans des Travellers, pour venir gouter à l’exotisme de l’Hiver. Et comme au glacier de Thajiwas, les vendeurs locaux abusent de la naïveté des touristes indiens pour leur louer de supposées indispensables combinaisons de ski pour parer au froid.
Prem’s !
C’est tout, parce que ça fait longtemps qu’on n’a pas joué à prem’s 🙂
Bises
Ca fait bien longtemps qu’on avait pas vu la bourlingue dans des paysages aussi verdoyants et avec tant d’habitations. On voit que vous quittez le Ladakh et redescendez en altitude.
Elles ressemblent à quoi les pizzas au feu de bois en Inde ? C’est pas très local comme plat
Superbe ! 🙂
Quelle bonne idée de nous faire visiter Naggar, charmant petit village !
C’est bien beau tout ca. Mais je trouve qu’on parl eplus trop de gastronomie dans ces derniers posts. C’est pas bon ou c’est juste pareil qu’avant? Paysage un tout petit moins beau que le post precedant mais toujours aussi impressionant. J’ai une bonne reserve de fond d’ecran maintenant
Des bottes de paille…
Je n’ai jamais essayé, mais j’imagine que ce n’est pas très confortable !
Coucou!!
On vous aurait cru dans le seigneur des anneaux 🙂
Vous avez traverser un col dans le Mordor pour redescendre dans la contée et son petit village typique baigné dans un vert quasi magique!
Reposez vous bien. Vous l’avez mérité.
Bises!