One, Two, Sri

Srinagar est déconcertante.
Malgré son statut de capitale de l’État du Jammu & Kashmir, elle laisse perplexe par ses allures de ville de province. Nous sommes bien éloignés de la densité de population des villes indiennes, et si ce n’est le tohu-bohu autour du quartier touristique, les bouchons sont rares et il y fait plutôt bon vivre.

Lovée au cœur de la plaine du Kashmir, la ville est bordée par une poignée de lacs dont le plus grand et célèbre est le lac Dal.

Déjà à l’époque du Raj britannique, il était interdit aux non-kashmiri d’acheter des terres dans la région. Pour contourner cette restriction, les colons se faisaient construire des habitations flottantes d’une ou deux pièces qui restaient ancrées à quai : les houseboats. Depuis, ces humbles esquifs ont fait place à de longues embarcations pouvant accueillir quelques dizaines de touristes et ce type de logements sont désormais légion. Aussi le Boulevard, nom donné à l’avenue bordant le lac Dal, est le théâtre quotidien d’embouteillages et d’une circulation bruyante.



Si nous comptions initialement trouver repos dans l’un de ces houseboats, nous nous sommes vite fait une raison et freinant des quatre fers, nous nous reportons sur une petite maison, les pieds dans l’eau, au bord d’un des innombrables canaux du lac. Un balcon et quelques chaises pour observer la vie qui se déroule au bord de l’eau, ce sera parfait. Chachoo, le propriétaire est plein d’attentions, et nous nous délecterons de thé au safran alors quand les fins de journées se rafraichissent.

Ça y est, il est temps de sortir les manches longues.

Les canaux et ces zones marécageuses sont arpentés par des shikara, des barques qui transportent aussi bien les locaux, les victuailles de marchands ambulants, ou la collecte des déchets, et aujourd’hui, bien évidemment, les touristes désirants faire un tour sur le lac.

Mais en grattant un peu plus loin que cette couche superficielle, nous découvrons que la ville à bien plus à offrir.
Directement aux abords du lac, les multiples canaux et les marais sont le théâtre de moments de vie quotidienne bucolique, mais c’est surtout le centre-ville qui nous en apprend davantage sur l’identité de Srinagar.




Les maisons du vieux centre sont un étrange mélange de genre, brique apparente, et partout du bois.
Sur les balcons ou les persiennes des fenêtres, jusqu’aux toits pointus des mosquées, aux allures de chalets suisses.

C’est ainsi le cas de la mosquée Khanqah-Shai-Hamadan.
Datant du milieu du XVIIIème siècle, elle est construite intégralement en bois, habillée de panneaux de bois peints et de papier-mâché, cette technique décorative traditionnelle du Kashmir. Nous arrivons à peine au moment de Dohr (la prière de l’après-midi) et si Marion se doit de rester sous le porche, avec les femmes, Brice a le privilège d’être invité à pénétrer le lieu saint pour scruter les ouailles en pleine révérence.


Notre visite nous conduit aux jardins de la Jama Masjid (la Grande Mosquée), aux allures de caravansérail d’Asie Centrale.
Ces grandes portes en briques de terre nous rappellent les iwans des mosquées d’Iran, alors que la toiture pointue ressemble à la tour d’horloge de la gare d’Achgabat. Là encore, pas de minaret, les coursives dont les hauts plafonds sont supportés par 378 colonnes faites d’autant de tronc de cèdre massif.


Le mausolée de Badshah du XVème siècle est, quant à lui, perdu au milieu d’un cimetière où quelques moutons à l’épaisse toison paissent les quelques herbes issues de ce terreau fertile. Son style détonne avec ceux précédemment rencontrés en Inde. Nous sommes ici plutôt face à des influences perses ou souffistes comme ceux de Multan, Samarcande ou de Turkestan – les tuiles turquoises en moins.

La puissante dynastie Moghol domina un temps la région et son influence se fait sentir aussi dans l’architecture.
Aussi, après avoir fait le tour de trois échoppes, et avoir enfin trouvé un pneu pour remplacer celui de la moto de Brice qui semble fatigué, nous partons nous balader autour du lac.


Nous sommes Samedi, et il semble que la population de Srinagar soit aussi de sortie dans les magnifiques jardins.
Les familles piquent-niquent parmi les plants de roses trémières parfaitement entretenus, les amoureux palabrent sous les magnolia en fleurs ou dans les alcôves des pavillons, et les enfants jouent avec les jets d’eau des fontaines ou dans les bassins où l’eau se déverse d’une terrasse à l’autre.

Que ce soit au Shalimar ou Nishat Bagh, le lac Dal inonde la toile de fond de sa placidité.

En prenant de la hauteur pour rejoindre l’intime Palais Pari Mahal aux allures de villa toscane, nous nous offrons une autre perspective sur la ville, les montagnes imposantes et le vert paysage alentour.

L’Inde nous semble bien loin.

Globalement nous sommes très bien accueillis. Une fois encore, l’atmosphère que nous ressentons et l’accueil que nous recevons sont loin de ce que l’information médiatique nous fait parvenir. Les gens nous saluent de chaleureux Salam Alekoum, que nous sommes heureux de réentendre. On nous sourit, et si autour des lieux touristiques, l’habituelle faune de marchands tient à nous vendre un tour en shikara, des pierres semi précieuses, ou des pashmina, la plupart des interactions sont plutôt accueillantes et bienveillantes que ce soit au tandoor (où nous nous goinfrons de petits pains kashmiri) ou dans les venelles de la vieille ville.


On ne se voile pas la face. Le sentiment anti-indien existe, les graffiti séparationistes sont nombreux dans la vieille ville, et nous entendrons quelques propos nauséeux et réducteurs chez une poignée d’interlocuteurs bas de plafond, pour certains tentés de rejoindre le Pakistan à la situation économique et politique désastreuse ou de prendre leur indépendance.
Cependant, comme c’est généralement le cas, ce ne sont pas les plus intelligents qui crient le plus fort.


Et Srinagar reste une ville où nombre de conflits ont lieu, principalement entre la minorité de militants indépendantistes kashmiris et l’armée indienne.
La vieille ville est ainsi souvent fermée pour couvre-feu, de quelques heures à plusieurs jours, bloquant toutes activités commerciales dans la vallée.
Srinagar est à une bonne journée de transport de Jammu, d’où proviennent toutes les denrées, car hormis le riz, les fruits secs et le cachemire, la région est loin d’être autosuffisante.

Enfin, notre expérience à Srinagar serait toute autre si nous n’avions pas fait les belles rencontres de voyageurs.

D’abord, Jean-Charles, Marie-Claire et Marcel, les deux premiers étant les parents d’Amélie que nous avions rencontrés à Delhi chez Rana avec son oncle Marcel venu récupérer une Royal Enfield. Ces trois là n’ont pas eu peur de parcourir la longue route depuis Delhi et de sillonner les routes du Ladakh malgré leur petit anglais. Charmants qu’ils sont et forts d’une longue expérience de motards, ils nous ont donnés plein de bons conseils sur la route qu’ils venaient de prendre et nous les inviterons à séjourner chez Adarsh, à Dharamshala sur leur chemin du retour vers la Capitale.

Finalement la belle rencontre est aussi avec Sjoerd et Manon, un chouette couple de Hollandais, qui voyagent dans leur minuscule camionnette colorée depuis Goa. On s’entend bien, on a plein de chose à partager, et comme le temps court, on décide alors, autour d’un thé au safran, de se faire un bout de chemin ensemble.

On verra bien ce que ça donnera.

8 thoughts on “One, Two, Sri

  1. Vous devriez vous assagir : vous passez au Sri Lanka, manifestations, au cashmere, chambardement, rébellion !
    Vous revenez quand en France !!!

  2. Comme c’est beau, coloré, l’architecture briques et bois, l’influence orientale dans la finesse des décors dans les mosquées sont inattendues et réjouissantes !

  3. Super cool et éclectique Srisri !

    Par contre (même si la photo est au top) : BRICE METS TON CAXXXX !!

    Je fais un commentaire court aujourd’hui pour que le message soit limpide 😉

    Bisous

  4. Avec un peu de retard…
    L’un des plus beaux épisodes de votre saga qu’il m’ait été donné de voir… Je programme Srinagar en future destination…
    Bien à vous…

    1. Srinagar est une ville très intéressante, et le Kashmir une région au grand potentiel… malheureusement gâché.

      En espérant que la situation se clarifie (cela fait presque un mois qu’aucune information ne filtre et que l’état de droit y a cessé)!

      Nous sommes contents de te savoir un lecteur toujours aussi assidu!

  5. Maori :  » ça donne envie de se baigner même s’il y a plein de vase. Et elle a l’air froide »

    C’est clair qu’on ne se croirait pas en Inde !!!

Ça vous inspire?