Et voilà, ce jour tant redouté arrive. Il nous faut quitter cette vallée merveilleuse et poursuivre notre chemin.
Alors que l’Été dévoile les couleurs de ce paysage incroyable, l’Hiver doit offrir un tout autre tableau, en bichromie.
Ninchet nous a raconté le froid et l’attente. Les eaux de la rivière Zanskar sont gelées et elle devient alors une voie d’accès piétonne vers Leh. Peut-être un jour oserons-nous affronter un hiver au Ladakh. Ça doit être magnifique. Ça nous donne envie. Des bonnes chaussettes en poils de yack et le tour est joué !
Mais pour l’heure, il est temps de partir.
Nous sommes psychologiquement et physiquement reposés et prêts.
Malgré le ciel couvert de ce matin, on distingue quelques patchs de ciel bleu à l’Ouest, là où nous nous dirigeons.
De toute manière, la météo change vite en montagne.
Et puis, il nous faut bien partir un jour ou l’autre.
Nous avalons un copieux petit dej’ chez nos amis du village, un chai puis deux, allumons les intercom, tu m’entends ? allo ? c’est bon ?
Les moteurs se mettent en branle, et c’est parti.
Nous empruntons la partie asphaltée, déroulant aisément les quelques kilomètres qui nous séparent de la piste tant redoutée. Les hameaux se succèdent, les champs fleuris et les murs de cailloux.
Les maisons aux façades blanchies, les enfants, les ruisseaux, les yaks, les stupa. Nous avons l’impression de découvrir ce paysage tant nous avions souffert sur cette section de route la fois précédente.
Nous sommes frais, et bien moins fatigués que la dernière fois que nous sommes passés par là, et notre positive énergie nous fait avaler les kilomètres à vive allure, malgré les routes cabossées.
Les sacs sont solidement harnachés, mais nous perdons une puis deux de nos bouteilles d’eau* en chemin.
Nous passons les verts plateaux où nombres de vaches paissent paisiblement, longeons les larges méandres que la Doda dessine du fond de son lit gris.
Nous doublons les derniers villages, et sommes surpris d’y être arrivés si rapidement.
Le temps n’est toujours pas au beau fixe mais le moral est bien présent alors que nous remontons la vallée et nous enfonçons dans la partie inhabitée de notre trajet.
Les montagnes demeurent tout aussi imposantes et impressionnantes.
Leur relief est accidenté, les fissures profondes.
Les sommets sont partiellement soupoudrés de neige.
Mais les pentes de ces mastodontes sont recouvertes de cette végétation basse qui doit être ravie de recevoir de l’humidité.
C’est beau, très beau malgré le ciel menaçant.
Au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans la vallée, le ciel semble de plus en plus bas et lourd.
Nous faisons régulièrement des pauses photos, coupant le moteur de nos engins pour profiter du silence.
Le paysage n’est que rocaille et mélancolie. La rivière semble fendre le plateau de terre meuble en deux.
La piste est cabossée, caillouteuse et accidentée, et nos bras s’agitent en permanence.
À mesure que nous roulons, les vibrations font tout bouger. Marion réalise soudain que son pot d’échappement se met en branle dans un tintement métallique. Une vis se desserre et tente de se faire doucement la malle. Nous nous arrêtons, en quête d’une pince, bien rangée dans la boite à outils. Mais la pince n’y est pas… on l’a oubliée chez Odile.
Bon, bien évidemment les clefs restantes ne sont pas à la bonne taille, et nous fixons au mieux le pot avant de reprendre la route. Mais très vite, les chaos de la piste redesserrent le tout.
Coup de chance, nous croisons un véhicule auquel nous faisons signe de s’arrêter. Il nous dépanne de l’outil manquant. C’est reparti.
Il ne pleut toujours pas, mais dans les vallées des affluents au Sud, de l’autre coté de la rivière, on ne voit pas à plus de cent mètres tant les nuages sont bas.
Nous approchons enfin du col de Pensi-La. Celui-ci n’est plus qu’au bout de la longue ligne droite de quelques kilomètres.
Une fine et faible bruine commence à tomber par intermittence, mais le col semble quant à lui perdu dans le nuage.
Nous allons à coup sûr avoir de la pluie. Au pied de la série de lacets qui y mène, nous sortons nos pantalons de pluie et nos sous-gants de soie et bien au chaud, nous attaquons la raide ascension.
La pluie ne met pas beaucoup de temps avant d’arriver, nous battant le visage dans un sens ou semblant disparaitre quand un virage nous fait changer de direction.
Une chose est sure, nous montons tout droit dans le nuage, et nous peinons à distinguer le formidable glacier Darung Drung.
Ce n’est pas une grosse pluie, et nous ne sommes pas trop mouillés mais à plus de 4000 mètres d’altitude, le peu d’humidité nous glace petit à petit les extrémités et nous fait grelotter sous nos casques dont la buée nous contraint à rouler visière ouverte.
Une fois les 4400 mètres du col passés, nous entamons notre longue descente. La pluie ne faiblit pas, mais les températures sont moins glaciales. La fatigue persiste à nous faire frissonner.
Nous retrouvons la grise rivière Suru et ces paysages que nous avions laissés derrière nous 9 jours plus tôt… sous une épaisse couche nuageuse.
Les paysages mornes de ces montagnes dont les sommets se perdent dans la brume, la verdure des pentes nues, l’épais brouillard, l’hostilité et l’isolement du lieu font penser aux paysages que nous imaginons des îles Féroé ou des paysages nordiques.
Dans la succession de longs virages rejoignant le fond de la vallée, Marion passe devant et donne le rythme.
Brice s’aperçoit alors que le barda arrimé à la moto de Marion gigote plus que de raison.
On s’arrête, on inspecte.
Mince, le porte-bagages est cassé en de nombreux points, les vibrations et les secousses de la route ont eu raison des soudures et de l’acier de mauvaise facture. Nous sommes encore à 150 kilomètres de Kargil.
On décharge le fardeau de la moto de Marion et transférons le tout sur celle de Brice.
Nous roulons au pas sur la vingtaine de kilomètres restant jusqu’à Rangdum.
La désolation mélancolique de l’atmosphère et du paysage est belle.
Face à la situation inconfortable dans laquelle nous nous retrouvons désormais et à un temps qui se dégrade, nous sommes encore plus humbles.
En effet, la pluie devient intense, et la dernière heure de route se fait sans halte, tentant de ménager nos motos tant bien que mal.
Las de ces heures de route, des conditions climatiques et des soubresauts et pressés que ce trajet prenne fin, nous décidons de ne pas marquer l’arrêt au checkpoint militaire de la gompa de Rangdum, saluant ostensiblement cependant le soldat en faction, quand celui-ci nous fait le signe équivoque de nous enregistrer.
Quelques minutes plus tard, nous arrivons, grelottants, à Rangdum.
Padum – Rangdum : 112km (05h52’) – done
Nous rafistolons tant bien que mal le porte-bagage de Marion avec des sangles récupérées dans des poubelles à Chandigarh, et nous prenons le temps de nous reposer. Car si le plus dur est derrière nous (d’après nos souvenirs), la journée suivante n’est pas facile non plus.
Départ matinal : peu avant huit heures, nous avons pris notre petit déjeuner et nos bagages sont arrimés. Nous sommes prêts à en découdre.
Le temps est bon.
Pas de grand soleil, mais pas de pluie non plus.
On se rhabille cependant chaudement. L’expérience de la veille nous a prouvé l’évidence : le pantalon de pluie, en plus de nous protéger des intempéries, est aussi tout à fait adapté pour nous couper du vent, nous tenir au chaud, et ses guêtres intégrées de limiter les pieds mouillés lors des passages de rivière.
Nous nous élançons sur la route encore humide.
Le paysage est beau. Il n’y a plus de brume, mais les nuages s’accrochent au milieu des montagnes.
La lumière du soleil dans notre dos éclaire la vallée verte. Quelques yaks paissent, mais ce sont surtout les marmottes qui nous accompagnent si tôt le matin.
Nous nous délectons une dernière fois de ces vastes paysages marécageux, des surfaces lacustres reflétant les grises montagnes imposantes. À mesure que nous avançons, nous laissons ce paysage grandiose qui nous émeut tant derrière nous.
D’ailleurs, et comme la veille, nous progressons d’un bon train et sommes surpris de la facilité avec laquelle nous enchainons les kilomètres.
Les cours d’eau sont traversés sans plus aucune retenue (s’il demeure encore une once d’appréhension).
On reste en première, et on y va sans trop réfléchir.
Et ça passe à chaque fois sans tout le stress accumulé à l’aller, qui nous avait certainement entamé moral.
Nous évoluons dans un environnement de rochers tombés des pentes raides, et de pâtures vert émeraude où quelques vaches ruminent de l’herbe fraiche (ou un enjoliveur laissé là**).
Puis comme à l’aller, la route prend de la hauteur sur la rivière, et longe la falaise.
C’est à ce moment que, avant de croiser un des rares véhicules qui emprunte cette route, Brice glisse et chute à la sortie d’un virage. Plus de peur que de mal, quelques accrocs, et pas de bleu, et nous repartons de plus belle… encore plus attentifs et alertes que nous ne l’étions déjà sur ces routes à la chaussée inégale.
Nous sommes ravis du mauvais temps !
En effet, on se demande si les paysages ne sont pas encore plus beaux, si les contrastes ne sont pas encore plus intenses, si l’immensité du paysage n’en ressort pas plus monumentale que lors du trajet aller.
En tous cas, nous sommes toujours abasourdis par tant de majestuosité.
Après plusieurs dizaines de kilomètres de no man’s land, dans le seul cadre somptueux de ces paysages grandioses, nous retrouvons le bui-bui au pied de l’imposant glacier Parkachik, devant les monts Kun et Nun.
Parfait pour recharger les batteries.
Nous avons désormais repris contact avec la civilisation, et nous savons qu’il ne nous reste plus que quelques kilomètres de piste.
D’ailleurs, nous sommes, peu modestement, surpris de la facilité avec laquelle nous avons parcouru cette route que nous appréhendions. Avions-nous déformé la réalité ? Avons-nous gagné en expérience ? Peut-être étions-nous mieux préparés ?
Néanmoins, nous sommes soulagés de laisser le plus dur derrière nous… tant en sachant très bien que les somptueux et impressionnants paysages le sont aussi.
On espère désormais pouvoir gagner du temps et nous éviter de la fatigue en prenant la section de « bonne » route que nous avions loupée à l’aller.
Pas de chance, celle-ci est fermée en raison d’un glissement de terrain (fréquent dans la région).
Et la section nous ramenant à la ville de Panikhar est très difficile.
La route est étroite, évoluant à flanc de montagne. La chaussée est boueuse à cause des derniers jours pluvieux, et les véhicules y ont creusé de profondes ornières glissantes. Cet obstacle surprise, ajouté à la fatigue, nous fait d’autant plus éclater de joie et de soulagement quand au checkpoint nous retrouvons enfin le bitume.
Les derniers kilomètres se font sans plus aucune difficulté jusqu’à retrouver, peu avant 13:00, le charmant village de Lankarchey, la maison d’hôtes de Malla et sa confortable chambre.
Rangdum – Lankarchey : 085km (04h55’) – done
Les prochains jours, nous souhaitons découvrir la partie de la vallée de l’Indus au Nord de Kargil.
Plutôt que de reprendre la National highway 1, cette route continue plein Nord par le col d’Hamboting pour rejoindre la vallée aride et aux reliefs accidentés du puissant fleuve.
Cette voie impose un énorme détour et s’en trouve donc très peu fréquentée (aussi bien par les touristes que les camions) et est en excellent état, et pour cause : l’armée veille à ce que la route soit constamment accessible pour y déployer rapidement des troupes.
Nous sommes à une poignée de kilomètres du tout proche Pakistan.
La zone étant soumise à autorisation spéciale, nous allons à Kargil faire une demande de permis.
Nous reprenons la délicieuse route logeant la rivière Suru. Les champs de blé sont en pleine moisson, et les bords de route sont garnis de fagotins d’épis. Ici aussi, le ciel bas souligne les imposantes montagnes qui encadrent la vallée.
Nous sommes un peu tristes de rejoindre la densité de la ville et le lugubre bureau du District Commissionner, où l’on nous fait patienter dans un bureau aux murs décrépis, rempli de dossiers poussiéreux et où tout un chacun entre comme dans un moulin, se connectant aux PC de l’un ou de l’autre.
Néanmoins, et comme à l’accoutumé, nous sommes accueillis chaleureusement et discutons longuement avec les fonctionnaires, aussi aimables qu’oisifs, pendant les deux heures d’attente de notre précieux laisser-passer.
Nous en profitons aussi pour faire resouder les porte-bagages. Pas de chance, la partie industrieuse de la ville subit une coupure de courant. Nous ne perdons pas espoir***, et retournons en ville où une bande de gaillards s’occupe de cette besogne avec soin pour quelques roupies.
L’après-midi étant désormais bien entamée, nous décidons de rester à Kargil pour la nuit.
Cette ville, que la plupart des touristes snobent, n’est finalement pas si désagréable.
Avec la vallée de Suru et le reste de ce Baltistan indien, nous sommes dans la région la plus orientale où l’on trouve encore des Musulmans (et étonnamment chiites). Plus loin à l’Est, le Ladakh devient majoritairement bouddhiste.
Nous sommes ainsi ravis de déguster des soupes d’abats de mouton (comme à Dharamshala), des shishlek, ou un fin boyau d’ovin farci de semoule, sur la place du marché, le soir venu.
Nous nous délectons de quelques abricots, tellement bons. Nos papilles retrouvent ces saveurs du Pakistan…
Il nous tarde maintenant de partir vers le Nord.
‘* Depuis que nous avons quitté la Chine, nous voyageons avec Hermès, notre thermos. Pour de l’eau chaude ou froide, nous la remplissons à longueur de journée. Ce qui nous permet de ne plus acheter de bouteilles d’eau, et ce depuis un an maintenant que nous sommes sur la route.
Nous avons, au cours de nos pérégrinations, récupéré une puis deux bouteilles, comblant ainsi notre soif et palliant à la chaleur ambiante. Eau bouillie en Chine, filtrée ou de source au Pakistan, au Sri Lanka ou en Inde, nos anticorps fonctionnent bien, et nous sommes fiers de cette rigueur que nous nous imposons.
Ainsi, aujourd’hui, bien plus que de regretter le manque d’eau, nous sommes surtout attristés et horrifiés de nous savoir « involontairement » coupable de laisser du plastique dans un tel lieu…
** On dit que la nature est belle, que les paysages sont purs. Il est vrai qu’il n’y a que très peu de déchets dans cet environnement, mais il est loin d’être totalement vierge. On trouve çà et là des briques de jus, des bouteilles plastiques, des vieux filtres à air… dans l’absolu, cela reste négligeable en comparaison à la catastrophe du reste de l’Inde, mais quand on remet les choses dans leur contexte et que l’on se rappelle que la route ne doit pas voir plus d’une trentaine de véhicules par jour, ça nous fait un peu mal au cœur.
*** Nous avions déjà évoqué la difficulté et l’énergie que certaines tâches, en apparence anodines, nous demandent. Ici, on ne parle pas juste de trouver un endroit pour souder. Il faut déjà savoir à quoi cet endroit ressemble. Puis une fois que l’on trouve à qui s’adresser, il faut tenter de se faire comprendre et de comprendre en retour, avant de surveiller que le travail soit effectivement réalisé correctement… si électricité il y a.
Même tâche compliquée quand il nous faut photocopier nos passeports et visas. L’opération est a priori évidente. Mais elle ne l’est pas.
hé bé !!!!…
c’est un peu pauvre comme commentaires de ma part mais je suis séchée après la lecture de votre récit.
je vous embrasse fort et reposez-vous bien.
fredo la voisine du bureau d’en face qui a déménagé !!
O-D-I-L…mais qui cela peut-il bien être 🙂
Super de voir Marion aux avant postes sur la route (et pour une fois Brice qui se gaufre… heureusement sans bobo)
Le retour à la ville vous permet de manger autre chose que des soupes préparés
Où en sont les travaux sur la route ? Si vous décrivez des chemins difficiles, des amis étant allés au Zanksar ou au Ladhak m’ont dit qu’il fallait vite en profiter car l’arrivée de la route allait dénaturer le coin
Si tu parles des travaux relatifs aux deux posts precedents (au delà de Zangla au Nord et au delà de Cha au Sud), alors la route ne sera pas prêtes avant deux trois ans au moins.
Mais la route de Kargil, ils vont plus jamais la refaire, ils vont la laisser mourir (comme les villages intermédiaires) avec la nouvelle route.
Mais les amis qui sont allés au Zanskar et au Ladakh et qui t’ont t’rapporté ces propos…. Ben c’est nous!!!!!
Hé hé… ça aurait été marrant de se croiser au Kirghizistan
La classe Marion sur son destrier !
Coucou les amis!
On sent que maintenant vous maitrisez la conduite et la navigation. Des vrais ptis Peterhansel !!
Et Marion est tellement puissante que c’est la mecanique qui suit plus 😉
C’est quand même fou comme da ns ce coin votre vie tient à une clef de 10…
La photo avec les marmottes, le yak, et les sommets derrière résume bien le type de rencontre que vous pouvez faire dans ce coin du monde !
Prenez soin de vous.
Bise
Enfin une photo des marmottes. Ca fait tellement longtemps qu’on l’attendait. Est-ce que vous avez essayer de les attraper avec des knaki? Elle avait leur encyclopedies? Et sinon, depuis quand Rionma c’est une roukmout?
Hahaha! C’est un hommage à toi!