Prologue :
Il est dit qu’autrefois, au village de XiDang, les habitants voyaient régulièrement un inconnu venir s’approvisionner au marché.
Personne n’avait idée d’où il venait.
Un jour, il a été décidé de le suivre, mais ses pistards perdirent sa trace.
La fois suivante, alors que cet inconnu était revenu en ville pour acheter du riz, le marchand fit un petit trou dans son sac, ce qui permit de le suivre à la trace…
Mais une fois de plus, on le perdit de vue au détour d’un rocher.
Les villageois soulevèrent alors le rocher, et découvrirent YuBeng.
Cette légende montre à quel point ce village est resté caché du monde pendant de nombreuses années. Et que, perdu au milieu d’une vallée entourée de hautes montagnes, la quiétude de ce village du bout du YunNan demeure quasiment inviolée.
Car aujourd’hui encore, il n’est pas aisé de rejoindre YuBeng.
Jour 1 – Let’s go to YuBeng
Après une confortable nuit dans notre auberge tibétaine, nous attrapons nos sacs et partons d’un bon pas, rejoindre les hot springs (là où le bus devait nous déposer la veille) à quelques 5 km et 460m plus haut.
Si elles se situent au bout d’une route sinueuse mais bien goudronnée, les quelques papys guidant leurs mules nous indiqueront quelques raccourcis bien pentus qui nous évitent d’arpenter les longs lacets de la route que les premiers trekkers chinois empruntent déjà…dans leur minivan.Après une heure de montée, nous arrivons au checkpoint. Oui oui, on a notre ticket.
Sur le papier, on ne peut rejoindre le petit village de YuBeng qu’à pied, ou à dos de mules pour les plus fainéants…
Et c’est parti pour 3h00 de montée. Exclusivement. Dans les faits, on voit bien une poignée de motos et une ou deux voitures de villageois qui peinent aussi à grimper le chemin de randonnée, transportant les quelques touristes les moins endurants.
Bien entendu, et ce malgré les conditions, nous avons décidé de faire le chemin à pieds… et avec nos sacs-à-dos.
Après tout, on s’était lancé le pari à Bangkok d’être plus autonomes avec un sac plus léger, c’est le moment de prouver qu’on en est capables.
Et les conditions sont loin d’être les plus faciles.
De longues pentes abruptes, un peu grasses, ponctuées de cairns, de petits chörten, de drapeaux à prières, de poubelles vertes(!) et de poteaux électriques.
L’électricité est enfin arrivée à YuBeng.
Ces éléments nous donnent des repères. Allez, allez, jusqu’au prochain poteau.
Ça monte raide. Raide et tout droit.
Allez, au virage, une pause. Allez, allez…
Parce que ça tire dans les jambes, nos sacs-à-dos sont un peu lourd (malgré tout), nous sommes à plus de 3000m d’altitude, le souffle est plus court, et progressivement nous entrons dans le nuage. À mesure que l’on prend de l’altitude, la brume est remplacée par quelques flocons éparses, la neige s’invite et nos pas sont un poil moins maitrisés malgré l’adhérence parfaite de nos chaussures (merci encore une fois les baskets !).
Il n’empêche que nous doublons tous les autres randonneurs (exclusivement Chinois), et qu’ils sont ébahis devant notre ténacité. Très vite nous grimpons seuls en tête et petit à petit, nous atteignons le col, à 3792m après 6.4km d’ascension.
Les drapeaux, tellement nombreux, sont comme une foule qui nous acclame.
Nous y sommes ! Un rayon de soleil perce les nuages, illuminant ce moment de victoire. Puis nous entamons la descente, longue et pentue, elle aussi.
Les deux villages de YuBeng apparaissent doucement (car il y a celui du haut et celui du bas, séparés par 40min de marche), sous l’épaisse couverture nuageuse, coincés entre des montagnes aux sommets que l’on devine imposants. 3.3 km et 1 heure plus tard, 540 mètres plus bas, nous arrivons enfin dans le village haut de YuBeng.
Nous ne sommes pas peu fiers d’avoir effectué cette rando’ régulièrement estimée à 6~7 heures en 4h05’ avec nos gros sacs, et le quart du temps dans la neige – et notre heure de rab’ dans la matinée.
C’est ici que nous allons poser nos sacs pour quelques jours.
Nous sommes en plein territoire tibétain, non loin de la région autonome du Tibet (qui nous est interdite pour le moment**) et anecdotiquement tout près de l’Arunachal Prasdesh que l’on découvrait il y a tout juste un an.
À notre arrivée en début d’après-midi, l’ambiance n’est pas très accueillante, on trouve de nombreuses portes closes. On se demande où nous sommes arrivés et si venir en basse saison était un choix judicieux.
Enfin, nous trouvons une petite auberge familiale tibétaine***, mal isolée mais aux couvertures chauffantes efficaces. Il est près de 14h, on est claqués.
Note : on découvrira finalement que l’ambiance sera extrêmement plus sympa à l’arrivée des retardataires et des randonneurs. Le soir, dans la salle commune de notre auberge, on a même l’impression d’être dans un chalet de station de ski.
J2 – Où l’on parle d’un lac gelé
Il existe de nombreux treks qui partent de YuBeng et que l’on peut faire « à la journée ».
Comme on est motivés (et même pas du tout courbatus de la veille), on décide d’aller voir BingHu, le lac gelé. Là-bas, au-dessus.
C’est combien déjà ? 3950m, ah…
D’autant qu’il a fait bien froid et qu’il a plu ces derniers jours.
Qu’à cela ne tienne, on verra bien où on arrive.
Après avoir quitté le village, ses cochons et les quelques chörten qui le bordent, notre journée commence à travers les pâturages du plateau accompagnés de quelques mules, avant de s’enfoncer dans une dense forêt dont le chemin ne fait encore une fois que de grimper. Une fois n’est pas coutume, on double très vite les quelques randonneurs partis plus tôt****.
À mesure que nous gagnons en altitude, la neige devient de plus en plus présente.
Et avec le passage des randonneurs de la veille et les températures négatives de la nuit, la neige tassée est glacée.
Ça glisse, nous trouvons des bouts de bois faisant office de bâtons, on marche dans les traces des précédents, ou on s’enfonce dans la neige fraîche sur les bords du sentier, mais on n’est pas loin du col, alors on se motive et on continue. Après 1h45 de marche, le passage pointe son nez. Les drapeaux, encore une fois, nous félicitent. Il n’y a personne. La neige est fraiche et on s’installe pour observer ce paysage magique qui nous est offert.
Une large vallée de sapins aux ramures enneigées. Le ciel se découvre légèrement, laissant apparaitre les mastodontes devant nous.
Ahhhh, y’avait donc des montagnes derrière ?
Après plusieurs minutes de contemplation silencieuse, on se dit qu’on a de la chance.
À quelques kilomètres à vol d’oiseau, on discerne le petit plateau qui supporte le lac.
Cependant, le chemin est trop enneigé, nous ne sommes pas assez équipés, ça ne serait pas prudent …et pas marrant.
Après un petit snack, nous décidons donc de faire demi-tour.
Nous attendrons la fonte des neiges pour voir le lac gelé.
J3 – De la cascade sacrée
Allez, aujourd’hui, il fait super beau. C’est magnifique. Les montagnes autour de nous se dévoilent enfin librement. Le ciel est d’un bleu profond.Les sommets sont tellement hauts. On peut voir le Kawagebo, à 6740m (le plus haut sommet du YunNan) et toute la chaîne montagneuse de 梅里雪山 – MeiLiXueShan.
Personne n’est jamais parvenu à son sommet et son caractère sacré pour les habitants de la région a fait que toute ascension est désormais interdite.
Même nous, il nous impressionne et nous inspire le respect.
C’est par le bas du village que nous partons en balade.
Champs, rivière et pâturages composent son plateau. Le village semble plus habité à cette période que celui du haut, dans lequel nous sommes installés. Un petit monastère, quelques maisons aux larges pierres et des chevaux qui trainent là, tranquillement. Nous suivons le chemin qui longe la rivière.
Les drapeaux à prières omniprésents sont accrochés aux troncs des arbres et nous indiquent le chemin à suivre. Les milliers de cairns construits nous rappellent l’adoration qu’ont les habitants pour ce cours d’eau. La forêt est belle, et rapidement la végétation disparaît. La vue se dégage laissant apparaître les hauts sommets enneigés.
La neige encombre aussi notre sentier qui s’incline et devient de moins en moins praticable. Le dernier kilomètre se fait à petits pas peu assurés.
Mais quelle récompense à l’arrivée !
Nous sommes sur un petit promontoire bariolé des couleurs du bouddhisme tibétain et seules les froides rafales de vent et le crissement de la neige sous nos pas rompent ce silence de bout du monde.
La chute d’eau est à sec – ou gelée.
Mais la vue magique des sommets immaculés qui nous entourent nous confortent dans notre amour de la montagne et de la bonne décision que l’on a eu de visiter cette vallée à cette saison.
Le retour se fait tout en prudence et en dérapage.
On passe par un sanctuaire dont le chemin est littéralement tapissé de drapeaux multicolores.
En été aussi cela doit beau. Alors on reviendra.
J4 – Il est temps de repartir
Encore une fois, le beau temps est avec nous.
Il existe une alternative à la raide randonnée du premier jour et qui nous évite ainsi de repasser par XiDang.
Après s’être bien renseigné, nous partons de bonne heure, nos sacs à nouveau bien campés sur nos épaules. Et c’est parti pour 21km, le long de la rivière de YuBeng, pour rejoindre le village de NinNong.
Il fait encore bien froid quand YuBeng s’éloigne derrière nous. Qu’il est loin de tout ce village. Il n’y a pas de voiture, quelques motos (mais comment font-elles pour faire le plein ?). On entend les cloches des yacks et des chevaux. On se couche au bruit du vent et on se lève éclairé par les sommets enneigés. C’était paisible. C’était bien.
Commençant à travers la forêt, notre chemin s’enfonce petit à petit dans la vallée. Nous rejoignons alors le niveau de la rivière progressivement encaissée entre deux immenses rocs de quelques centaines de mètres et érodés par le temps.
Pour le coup, nous sommes définitivement les seuls à arpenter ce sentier et face à ce magnifique spectacle que la nature nous offre.
Le cours d’eau semble sauter de rocher en rocher, façonnant le paysage et nous accompagne de son doux crépitement et de sa couleur cristalline. On en boirait s’il n’y avait pas autant de courant. Le second tiers du trajet devient plus spectaculaire.
Notre piste prend de la hauteur, ou c’est plutôt la rivière qui s’enfonce, ses rapides grondent à mesure que le lit du fleuve se perd dans les profondeurs de la gorge.
Nous sommes surpris par la rapidité à laquelle nous prenons de la « hauteur », cela en devient vertigineux. Car sans trop nous en rendre compte, nous marchons désormais sur un sentier de moins d’un mètre cinquante de large parsemé d’éboulis et balayé par des rafales de vent au bord d’un précipice à pic de plus de cent mètres.
Nous ne faisons pas les malins, et hâtons décidément le pas.
À son embouchure, la rivière translucide se jette finalement dans le boueux fleuve Mékong.
Le paysage change radicalement. Nous retrouvons désormais de sèches berges encaissées.
Mais après 19km de marche, nous rejoignons finalement NinNong.
Pas de transport en commun pour nous ramener à DeQin ?
Pas de problème, on se fade deux nouveaux kilomètres d’ascension pour rejoindre la route un peu plus haut, nous ne sommes finalement plus à ça près.
On tend le pouce, il n’y a pourtant pas grand monde, mais on trouve rapidement un véhicule.
On arrive suffisamment tôt en ville afin de trouver un minivan pour rentrer dans la froide Shangri-La (et admirer les sublimes paysages – finalement sous le beau temps – traversés sur la route du retour). YuBeng semblait pourtant si loin de tout…
Il l’est, c’est que nous sommes diablement efficaces !
‘* C’est incroyable. On aperçoit de multiples chemins tracés sur les flancs de toutes ces montagnes. Des sentiers vernaculaires qui sculptent et domptent la montagne. Ils partent en diagonales, en zig-zag et rejoignent les sommets ou les rivières. La même question revient souvent.
Pourquoi l’Homme vient s’installer ici…
** Aucun visa pour le Tibet n’est délivré durant le mois de Mars, à cause du Nouvel An Tibétain (et puis pour nos porte-monnaie du moment, c’était hors-budget)
*** On s’installera également au coin du poêle le soir, pour y manger notre ration de riz/légumes.
Mais comme souvent, dans ces régions reculées, il faut faire abstraction des normes d’hygiènes et ne pas s’offusquer si la petite fille fait pipi au milieu de la cuisine, si elle joue avec le chat plein de dreadlocks tellement il est sale, et qu’après elle aide sa maman à couper les légumes avec ces petites mains toutes sales. Tout est bien cuit, c’est l’intérêt de la Chine !
**** Nous ne sommes finalement pas si nombreux dans le village, tout au plus une bonne trentaine de touristes à se partager ces magnifiques paysages. Ce qui fait que très vite les gens nous reconnaitrons et sauront que nous sommes les deux laowaihenkuai – les étrangers qui vont vite.
Épilogue :
Au total de ce séjour enclavé dans les montagnes vierges du MeiLi :
60 km en 4 jours
3700m d’ascension et autant de descente
Pas tant de courbatures que ça… et pas d’ampoules aux pieds !
Merveilleuses photos
Et dire qu’une marche de 2 heures me donne des courbatures pour 2jours!!! Total respect
Splendide et probablement terriblement apaisant. Ca doit être la 1ère fois depuis votre départ que je regrette autant de ne pas pouvoir partager ces moments avec vous (mon âme trekkeur sans doute).
Bravo pour l’ascension du 1er jour avec vos sacs qui ont l’air bien chargés
Pourquoi les gens s’installent la? Une bonne question mais qui me semble assez évidente dans votre cas. Isolement, paysages sublimes et assez de nourriture et d’eau pour survivre. Il y a des endroits bien moins accueillants ou l’homme s’est pourtant installé également (je pense à l’Afar par exemple). Je croyais que les chats s’étaient très propre, ça doit être rigolo un chat a dread locks…
A dire avec l’accent québécois : « Je vais prendre en photo les savoyards! »
Vous êtes de bons montagnards.
Vous faites plaisir à suivre.
putain, toujours les drapeaux, ça gave, moi perso je trouve pas ça beau
et c’est ballot vous aviez oublié vos snow à chaillol..!
magnifique, trop
bises
et c’est quoi déjà les chörten
Pareil qu’Evouzétoulà, mais je suis allé voir sur wikipedia 🙂
Bises
Super beau la montage !
Merci pour les profils en travers et les traces GPS.
hahahaha un chat avec des dreadlocks ! un rastacat !