Nous avons quitté la haveli, nos copains, les biquettes et les bons lassi, paneer, butter nan et chicken tikka. Et nous reprenons la route.
On ne va pas bien loin, on s’arrête à Amritsar, la ville sacrée du Sikhisme pour aller visiter le Golden Temple.
C’est ici que se trouve les reliques du guru number 5, un des dix guru fondateurs du Sikhisme.
C’est ici que, quotidiennement, des milliers de pèlerins viennent se recueillir et les visiteurs déambuler dans l’immense enceinte du temple.On ne s’embête pas à chercher un hôtel dans la ville bruyante et chaotique : on préfère aller directement loger au temple, dans les dortoirs proposés aux pèlerins et voyageurs de passage, indiens ou étrangers.
Ces derniers ont toutefois droit à un dortoir isolé des « masses » alors que les Indiens ont leur propres quartiers ou dorment à même le sol dans la cour.
Comme souvent, on reçoit un accueil plein de respect, de chaleur, et de générosité désintéressée de la part des Sikhs qui tiennent le dortoir et nous font la visite de nos sommaires appartements.
C’est l’occasion pour nous de rencontrer Francis, un vieux crapahuteur pas con du tout, qui en est à sa énième visite du temple (et de l’Inde) et partagera volontiers ses connaissances et expériences avec nous.
Nos ballots posés, on file en direction du Temple.
Pas besoin de se chausser, tout le monde marche pieds nus, dans le Temple, dans le réfectoire, dans les toilettes (nous n’en avons jamais vu de si propres depuis…), dans les cuisines… et parfois on ne sait plus très bien si on est dans la rue ou pas.
C’est donc pieds nus que nous passerons nos deux journées ici.
Comme on l’avait expliqué lors de notre passage à Chandigarh, les Sikhs se couvrent les cheveux.
Par conséquent, Marion se voile et Brice s’enturbanne.
Un passage par le pédiluve… heureusement que l’eau n’est pas stagnante, vu le nombre de pieds qui y passent !
Et nous y voilà.
Face à nous, le Temple d’Or nous apparait, bouton d’or flottant au milieu du bassin de Nectar (qui a donné son nom à la ville d’Amritsar) et encerclé de bâtiments d’un blanc laiteux.
Il n’est pas très gros ni très imposant, mais nous sommes émus de le découvrir enfin en « vrai ».
Car, c’est celui que l’on voyait à la télé, chez les parents de Parambir et Amarbir !
Il est doré et blanc de marbre à sa base. Il y a 4 ouvertures, sur les 4 côtés.
Le reste du site est parfaitement blanc et isolé du chaos bruyant de la ville*.
Nous déambulons sur le pourtour du bassin décoré d’une superbe marqueterie de marbre et de pierre.
Nous ne sommes pas les seuls : des milliers de visiteurs évoluent autour du temple, comme autant de tâches de couleur dans ce monde immaculé.
Les femmes habillées en sari, des hommes aux turbans si proprement enroulés.
Les voiles volent au vent, le drapeau orange y flotte, et les murs blancs sont une toile opaline à ce flot de couleur.
Les Sikhs orthodoxes ressemblent à des chevaliers d’un autre temps.
Les hommes sont habillés de bleu, dague à la ceinture. Les femmes enturbannent aussi leurs cheveux dans une coiffure leur faisant une tête conique qui n’en demeure pas moins élégante. Au son d’une musique lancinante, omniprésente mais apaisante, le site nous baigne dans une atmosphère de quiétude.
Certains se réfugient sous les arcades pour se protéger du soleil cuisant, d’autres y dorment.
Enfin, quelques fidèles se baignent dans le bassin de Nectar dont les eaux sont, selon la légende, curatives.
Et comme dans le Gange, les gens y font leurs ablutions et boivent quelques gorgés de cette eau sacrée… mais ici, tout est plus propre (il faut souligner que les Sikhs ont globalement plus la classe que les Hindous).
Un gros orage nous surprendra dans l’après-midi, le complexe se vide, le sol devient glissant.
Mais une fois le retour du beau temps, tout le monde aide à drainer les allées, replacer les tapis.
De même, les travaux de rénovation (que cela soit pour réparer des lourdes stigmates des tirs de l’armée indienne en 84*, ou pour l’entretien de routine) sont en grande partie réalisés par des bénévoles, et financés exclusivement par la communauté sikh*.
La journée avance, le temps s’écoule et la lumière de fin de journée enflamme le temple de mille éclats.
On passe notre soirée installée sur les marches bordant le bassin.
C’est serein ici.
La journée au temple prend fin avec, vers 22h30, le « coucher » du livre sacré.
Le livre qu’on voyait à la télé, et dont les textes sont récités tout au long de la journée dans une litanie laconique, se trouve au premier étage du temple.
Un groupe d’hommes, tous de blanc vêtus portent un palanquin, décoré d’or et parfumé de fleurs.
Ils traversent la passerelle pour aller chercher le gros Livre des Sikhs et le rapporter sur la terre ferme, dans un lit (!) au premier étage du parlement sikh au pied du pont, avant de définitivement fermer les portes accédant au temple pour la nuit.
…et nous, nous allons retrouver notre sommaire dortoir.
Plus que dans d’autres religions, un des piliers de la communauté sikh est l’égalité entre les gens, sans distinction de religion, sexe, couleur, caste, âge, …
Et enfin, on ne sait pas comment appeler ça, mais ici, tout est gratuit. L’argent, la rémunération… cela n’existe plus. Et puis tout est étudié pour aller dans le sens du groupe. Free litterature, free shuttle, free kitchen, free dormitory…
On loge des milliers de personnes, on sert environ 100 000 repas par jour.
Toutes les tâches sont effectuées par des bénévoles, des gens qui donnent entre quelques dizaines de minutes et plusieurs heures de leur journée à cette communauté. Pas seulement des Sikhs, mais aussi toute personne touchée par cette religion ou, moins ésotériquement et de manière plus élémentaire, par cette société orienté vers le partage.
Les riches, les pauvres, les hommes, les femmes, les vieux, les jeunes, les roux, les gens sains ou handicapés… tout le monde est traité sur un pied d’égalité (sur le papier du moins).
Aux heures de repas, on découvre ainsi la partie « cantine » du Temple.
Une immmmmmense cuisine est installée ici. Et tout y est démesuré. Des stands pour peler les oignons et piments, aux marmites de 500 l. pour faire cuire le dhal. Du feu qu’il faut attiser pour faire bouillir les litres de thé à la machine à roti en débitant plusieurs centaines de milliers par jours. Des stocks de pommes de terre au stand « vaisselle ».
C’est astronomique. Nous sommes ici pour deux jours, et nous baladerons dans l’antre des cuisines.
Et pour aller manger, ça marche si simplement.
On nous distribue un plateau, une cuillère et une bolinette. Puis nous montons quelques marches.
Les portes s’ouvrent. Au sol, de longues bandes de tapis sont posées. Et tout le monde s’assoit, aligné en tailleur. Par terre, nous déposons notre assiette.
Puis rapidement, la danse des serveurs s’amorce. Le dhal, le kir (riz au lait à la coco), les sabji sont servis à la louche depuis le seau, et déposés dans l’assiette.
Nous tendons les deux mains pour récupérer les roti.
Un chariot verse l’eau dans les bolinettes.
Les serveurs effectuent plusieurs aller-retour, pour être sûrs que tout le monde est rassasié.
Et au bout d’une quinzaine de minutes le repas est fini (en Inde le repas est loin d’être un moment convivial), chacun se lève, récupère son assiette, sa cuillère, sa bolinette, et sort de la salle.
Une prochaine « tournée » d’affamés attend. Et les grandes raclettes commencent un nettoyage rapide et efficace du sol. Alors que nous sommes à peine sortis, la pièce se re-remplit. Les gens s’assoient en tailleur, et le service reprend.
Et ça, toute la journée, tous les jours. De 8h à minuit.
On donne nos couverts sales, les cuillères d’un côté, les assiettes de l’autre. Puis tout part en vaisselle, dans d’immenses bacs, alignés. Chacun peut venir aider. Et après 6 lavages/rinçages, ils sont prêts à être distribués.On finit notre repas par un traditionnel chai. Une nouvelle bolinette que l’on remplit dans d’énorme bac de thé au lait et on se rassoit par terre, en tailleur.
Les gens nous regardent un peu. Il n’y a pas beaucoup de laowai¸ et l’ambiance est plutôt agréable, chaleureuse et bienveillante.
Dernier point intéressant : comme ici tout est gratuit, l’argent n’est nullement nécessaire au sein du complexe (si ce n’est pour quelques petites offrandes) ; ainsi, pour prévenir tout vol, une banque se situe à l’entrée des dortoirs.
Chacun donne l’argent qu’il a en sa possession, son nom et la somme sont écrits dans un grand registre.
Il lui suffira de venir réclamer son argent et sa bourse à son départ.
On vit clairement dans un autre monde.
Après ces quelques jours à la haveli et ce passage par le Golden Temple, notre tête est remplie de questions… Nous avons passé tellement de temps à observer ces vies, des moments de partage, de bonté.
C’est déroutant cette générosité, cette confiance, cette simplicité des relations aux autres quand on évince le sens de la propriété.
On est perplexes et émus. Oui, encore…
Cette cantine pour tout le monde, c’est tellement fou !
On s’est sentis déconnectés du monde, et de ses soucis. À se demander quelles sont les limites d’un tel système ? Jusqu’à quelle échelle cela peut-il encore fonctionner, une ville ? un pays ?
Toutes ces questions résonnent encore dans nos têtes alors que nous redescendons tranquillement sur terre… dans le bus du temple envahi du chant des fidèles qui nous emmène gratuitement à la gare.
- Massacre du Temple d’Or :
En résumé.
En 1984, une poignée d’insurgés se réfugie dans le temple d’or.
Le gouvernement les accuse de cacher des armes dans le complexe.
L’armée est envoyée, tous les immeubles autour du temple sont rasés pour laisser le champ libre aux snipers et au char.
Des sommations auraient été lancées par l’armée pour demander aux fidèles de quitter les lieux. Or, l’isolation du bruit de la ville est tel que les personnes à l’intérieur n’auraient pas entendus les injonctions des soldats, dont les tanks sont entrés jusqu’au bord du lac sacré. Nombreux bâtiments portent encore les séquelles de ce coup de force, et sont encore en réparation.
Et pour cause, l’Etat central a bien proposé de payer pour les travaux, mais la communauté sikh aurait préféré se débrouiller seule.
En parallèle, plusieurs centaines de personnes sont mortes dans l’assaut, et s’en sont suivis de tristes et sanglants massacres de Sikhs à travers le pays… menant à l’assassinat d’Indira Gandhi.
re-prem’sssssss
et on a pas vu les chiottes…
c’est tellement, étonnant, immense, énorrrrme dirait luccini
et cette « lçon » d’humanité, on sent qu’il n’y a pas de limites, il pourrait y avoir le double de pèlerins
et le « prince » qui habite dedans, a-t-il des dents en or aussi ?
magnifique !
évouzétoulà
Elle va trop choper le gars en turbant bleu Marion. Brice on dirait un vrai Indien Sickh. C’est très apaisant ce post en tous cas. Et merci pour la petite le petit private comment
Magnifique granito!
Peu de mot quel gouffre entre hier et aujourd’hui .
Calme et sereine faut en profiter
Pour des raisons évidemment bien différentes et totalement opposées, je reste subjugué, ébahi, interrogatif, fasciné, bon j’arrête je n’en jette plus, par vos 2 derniers posts
De la frontière pakistanaise au Temple d’Or c’est le grand écart pour le simple lecteur que je suis. Alors pour vous ….
Merci de nous faire partager avec autant de cœur et de talent votre magnifique aventure
Sinon je suis partagé sur votre question. Cette « utopie » est certainement reproductible et pourrais probablement couvrir l’ensemble de la planète, l’essentielle étant de garder des unités d’utopie a une échelle « gérable ». Mais le problème c’est que cette utopie semble néanmoins n’exister que grâce au monde extérieur qui vient faire ces petites offrandes, probablement donné de la nourriture, du bois pour la cuisine, traiter l’eau etc. En gros je pense que cette utopie ne peut exister que parce qu’autour il y a le chaos habituel. Ca me rappelle le super prof d’Anglais de Jean bapt (c’est quoi son nom déjà) qui un jour m’a dit que si je reparlai des Smurf dans son cours, il me foutrait dehors. J’avais utilisé l’analogie pour parler d’utopie justement.
(Galthier)
Le coca était vendu à 6 rupee au lieu de 15 d’habitude et estampillé « golden temple ».
Si quelqu’un chez coca se dit: OK je donne du coca à moindre prix, quelqu’un chez Bouygues qui dit: OK je donne deux heures par semaine pour la construction du nouveau réfectoire… Pourquoi pas?…
Je partage les réserves du Meilleur Poto de Brice…
Et la private joke, c’est parce que t’es roux le Meilleur Poto?
Sinon les Smurfs comme utopie, 1 gonzesse pour 98 mâles, je comprends que ton prof d’anglais ait voulu te virer 🙂
C’est la situation en Inde…
Génial.
Malgré le monde, je ressens une ambiance apaisante…
Et puis c’est beau. Pffiiuuuuu….
Vous avez pas pensé à vous baigner vous aussi?
Moi vos photos me donne envie de nager dans cette eau calme au milieu de ce décor de rêve.
Incroyable!!!!
vous avez pris une golden shower ?
Vraiment majestueux ce temple et son environnement : c’est beau
Vous avez donné un coup de main en cuisine ? on voit des photos mais on sait pas trop si c’était pour la pause (j’en doute) ou pendant que vous ameniez votre pierre à l’édifice utopique
Je crois que je me répète sur le blog, mais les Sikhs sont vraiment au top !
On pourrais presque faire le parallèle avec les gadz pendant les usin’s ! Fraternité et barbichette !
On devrait leur demander de gérer la frontière avec le Inde-Pakistan, on verrait quelle stratégie ils mettraient en place 🙂
Paisible route chers voyageurs.
He he he…
Pas mal le parallèle avec les Gadz… en effet, et les pinces seraient heureuses: tout est bouffam’s!