Prologue :
Après plus d’un mois sans batterie dans l’ordinateur, Windows se réveille au prix de nombreux déboires.
Le chargeur était foutu, il a fallu ressouder la prise sur la carte mère, le type qui a fait tout ça à remplacer notre carte wifi par celle pourri d’un autre client chez qui il a fallu refaire l’échange…bref…
Le 23 Mai à 13h42 IST : l’ordinateur se rallume enfin !
Ça sera une première.
On décide de tenter un volontariat. Oui, on est un peu fatigués, il commence à faire chaud, et on se dit que ça sera toujours une expérience sympa.
Mais ce n’est jamais bien facile de choisir une mission de volontariat. Ethiquement, on a un peu mauvaise conscience de voler le travail des locaux, et puis la plupart des jobs, sont souvent de récurer les toilettes dans des auberges de jeunesse en devenir.
Et comme nous, les méga-coloc’-d’étrangers-trop-cools ça ne nous branche pas trop (à moins que ce ne soient les cuvettes de WC ?), notre choix se restreint comme peau de chagrin.
On trouve finalement une petite perle aux abords d’Amritsar, haut lieu du Sikhisme.
Les quelques retour d’expérience sont ultra positifs, et ça tombe bien, c’est tout pile sur notre chemin dis donc !
L’endroit est une sorte de resort / ferme / hôtel / piscines.
Il y a tous les soirs un spectacle de danse punjabi, les gens viennent manger et profiter d’une balade à cheval, faire une photo avec la biquette et ses petits, s’installer dans le jardin, et observer les danseurs (pas toujours très synchro !), le tout dans une atmosphère agréable d’une haveli à la campagne.
Voilà.
Nous passerons les 12 prochains jours dans ce cadre. À une dizaine de kilomètres d’Amritsar, entourés de champs de blé, de buffles, de petits villages un peu délabrés, au bout d’une route. Un endroit calme et serein pour encaisser un peu plus aisément les températures qui ne cessent d’augmenter à cette période.
Et le meilleur dans tout ça, c’est d’avoir vécu 12 jours avec le staff du site.
Car le patron (notre hôte) on ne le voit pas souvent, si ce n’est jamais.Eux, ils sont tous Népalais.
Ils ont quittés leur famille pour venir travailler ici, et leurs offrir une vie meilleure.
Il y a Bhawan « Kash-Kash », il a 13 ans. Lui il s’occupe de la vaisselle.Juste à côté, se trouvent Krishna et Himal « Bandre », 18 et 21 ans, les chefs tandoor (ce four vertical en terre cuite et dont le fond est constamment tapissé de braises). C’est avec ces trois-là que l’on passera le plus clair de notre temps.
En cuisine, Santos, Motiram, Ramlal et le « Chef » Lachman.
Et au service, c’est avec Gri « lal » et Madhav que nous papotons également. Et puis Prakash « Captain », le manager.
Ils parlent plus ou moins anglais. Plutôt moins d’ailleurs. Les lire, c’est vraiment pas facile (ce qu’on fait sur Facebook depuis qu’on les a quittés).
Mais on s’adapte. Ok, god, sem sem… = ok, good, same same !
Et quand on demande « et ça, ça se dit comment ? », on a une réponse en népali, ce qui ne nous aide pas beaucoup pour progresser en hindi, mais bon… !
Parfois, Richma, nous traduit en hindi… Ah non, c’est en punjabi en fait.Et quand tout le monde est installé derrière la cuisine, à l’extérieur pour le thé du matin, il y a aussi Bhiro et cette jeune fille, qui ne parle ni népali, ni hindi, ni english. Juste punjabi.
Et parce qu’elle n’est jamais allée plus loin que son village, elle découvre avec nous qu’il y a des gens qui ne peuvent la comprendre ; et nous découvrons qu’il existe des personnes qui n’ont aucune notion de comment communiquer avec un étranger : la langue des signes, les dessins… elle n’est pas du tout réceptive (10000 fois pire qu’en Chine).
En même temps, à quoi bon, elle n’a jamais eu à se confronter à cette situation, et restera certainement toute sa vie dans son village. Et on n’est pourtant pas au fin fond du Nagaland, mais à 10 km d’Amristar.
Je pense qu’elle ne comprend pas qu’on ne la comprend pas…
Finalement, on découvre qu’ici, chacun à sa langue. Et chacun essaye de traduire avec ses 3 mots de punjabi ou hindi ou bihari (bah oui, les peintres ne sont pas du coin… !)…
Bref, ça donne un assez chouette mélange. On y ajoute une petite dose de français, et la magie de la communication fait effet !
On se rend compte aussi que l’école obligatoire, ça a vraiment du bon.
Nos Népalais nous demandent « et c’est quoi ton pays ? » on leur dit qu’on habite en France. « Ah… et c’est quoi ton village ? », on leur qu’on est à Paris. « Ah… et c’est grand comme village ? »
Ben oui, ils ne savent pas où c’est, si c’est gros ou pas… *
Et l’un des peintres ressemble comme deux gouttes d’eau à Einstein, Brice tentera de leur expliquer… mais peine perdu, aucun d’eux ne connait (et « normal » : à leur yeux « pour quoi faire ? »)
Krishna demande l’heure à Brice, qui lui tend son poignet « oh nan nan ! je sais pas lire ça ! »
Ok, alors regarde comment ça marche, y’a la grande aiguille, et la petite… et quand ils doivent rendre leur compte le jour de paie, leurs échanges ont l’air tout sauf efficaces, on se dit que ça ne doit pas aller bien loin au niveau des notions mathématiques.
Ça nous ouvre encore plus les yeux. Et ces moments partagés et vécus, si simple et si « primaire », sont pourtant si riches d’enseignement (pour nous !).
D’ailleurs, jour de paie, ils sont fiers comme Artaban : ils tiennent à montrer qu’ils ont gagné des sous**, et ça nous ramène à la réalité, celle qui pousse tous les migrants du monde entier à quitter parents, femmes et enfants pour s’expatrier. Ils ont beau être ignorants, ils ont tous le courage (la pression aussi bien sûr !) de traverser les frontières et les montagnes dans l’espoir d’un avenir meilleur.
Car pour eux, no money = no life, et tous les deux, on se sentait drôlement cons avec « l’argent ne fait pas le bonheur ».
Kash Kash, le plus jeune, n’a que 13 ans, il est là depuis près de 6 mois. Madhav est marié depuis 20 ans, mais en Inde depuis 25. Et au Népal, des enfants grandissent sans papa à la maison. Pareil pour Gri, qui reste humblement fier de son fils qui est ingénieur en Malaisie.
La vie ici n’en demeure tout de même pas tendre avec eux, et ils partagent leur intimité avec Kash Kash, Bandre, Krishna et Motiram dans une chambre de 15 m² avec les paillasses installées côte à côte et au bout du lit, leurs quelques effets.
Et nous avons un peu honte d’être dans une pièce de 25 m² avec de l’eau chaude et de la clim’.
Mais c’est comme ça.
Nos journées sont plutôt bien remplies avec de longues périodes d’inaction, notamment entre 14h et 17h où l’on bouquine et on sieste. Le contrat de « workaway » est théoriquement de ne travailler que 20 heures par semaine avec deux jours off. Mais nous ne sommes pas trop du genre à compter, et si nous sommes là, c’est aussi pour vivre un peu la vie de nos Népalais.
Néanmoins, la journée ne commence pas bien tôt, et à 9h~10h, au réveil, nous avons droit à un traditionnel chai, avec le lait de la vache, frais du matin. Et puis tout le monde se met doucement en route. Avec Bhawan, on s’installe pour essuyer les 3000 verres, 200 assiettes, 5000 couverts et plats de la veille…
Parce qu’en arrivant le matin, les deux femmes qui s’occupent de la vaisselle découvrent la plupart du temps, un immense tas… et c’est parti pour 2 ou 3h de plonge, assise par terre, entourés de restes de légumes, de mouches mortes et d’eau dégeu…
Ouais, c’est pas marrant pour tout le monde.
Il faut dire qu’il fait tellement chaud, qu’un évènement surnaturel se passe ici : les mouches deviennent folles et subitement meurent.
Par centaines, par milliers. Par terre, sur les tables, les chaises.
Même les grenouilles, le soir, n’ont plus besoin de sauter pour se nourrir… !
Nous on récupère la vaisselle propre, mais à sécher, et on s’occupe également de retirer les quelques mouches mortes !
Bon, c’est pas hyper marrant non plus comme boulot, mais on passe du bon temps avec Bhawan, on « papote », pendant que Himal et Krishna démarre le tandoor pour les kulcha du petit dej’ (sorte de roti (pain plat) fourrée aux herbes, pomme de terre, ail, oignons, …) You hungry ? nous demande Kash Kash, s’en suit une grosse ration de dhal paneer ou de curd suivant notre humeur pour bien se remplir la panse.
Quelques petites souris partagent le débarras à vaisselle avec nous, et nous les nourrissons avec de petits morceaux de pomme de terre ou de roti.
On découvre aussi que même dans les cuisines d’un resto’ un peu classe, on trouve aussi des cafards, certains longs comme un petit doigt.
Et alors qu’on essuie la vaisselle, on nous dit de nous arrêter. C’est l’heure du chai. Oui, encore !
Cela n’empêche qu’on profite de la bonne nourriture du chef, qui prend un certain plaisir à tout nous faire goûter à chacune de nos traversées en cuisine.
Lorsque les clients ont finis leurs petits dej’, on récupère les restes. Lassi, fruits, yaourt (curd).
Même le soir, quand on débarrasse, les restes sont mis de côté.
Et si c’est un buffet qui est prévu pour un groupe, nous savons tous qu’en fin de service, nous aurons droit à un festin, et tout le monde s’en lèche les babines.
(le summum est atteint quand il y a des restes de Coca, de Fanta ou de ThumsUp, tout le monde se jette dessus comme des enfants)
Donc on grignote toute la journée !
Notre boulot, c’est aussi de rendre les choses pratiques. De faire de l’organisation, du lean management! On essaye de rendre les choses plus rapides et parfois plus réfléchies, pour aussi en faire moins.
Brice essaie d’optimiser les mouvements… sachant que tous les soirs, on doit mettre tables, chaises, surchaises, nappes et surnappes***. Que tout ça prend du temps. Alors autant rendre les choses logiques ! Ça fonctionne un peu. Pas dit que ça reste très longtemps. Mais on y croit !
Il y a aussi 2 grosses piscines, dans lesquelles viennent s’amuser des groupes de jeunes mâles lors des après-midi de forte chaleur.Que des mecs, toujours ! Ils sont insistants, photo photo photo, une fille et ils n’en peuvent plus.****
Cette ambiance exclusivement masculine est un peu pesante… Et surtout dérangeante ! Et on retire Marion du service…
Pourquoi les femmes ne viennent pas s’amuser aussi à la piscine ! il fait 40°… !
Mais lorsqu’il n’y a personne dans l’eau (souvent le soir), on part s’amuser dans la piscine avec nos copains népalais.
Certains ont peur de l’eau, alors que d’autres « savent » nager. Enfin,…ils savent « ne pas couler », et on se lance alors dans des cours de brasse, respiration et apnée en bain de minuit tout habillé pour Marion bien sûr… !
On aide aussi tous les soirs plus ou moins au service. Et quand c’est « moins », on aide au tandoor Brice à faire les brochettes de paneer ou chicken tikka et Marion à préparer les roti.Sinon, on nettoie la piscine, on remplit les bouteilles d’eau*****, on range les placards…
Bon, et puis après 12 jours, on décide de reprendre la route.
Pour notre avant-dernière soirée, Madhav avait acheté un poulet qu’il a fait préparer par le chef.
On s’est installé tous les 3 dans le débarras, avec un verre de whisky et quelques glaçons.
Pas de fioriture, pas de présentation ni de blabla.
C’est le simple plaisir de partager. Il est content de nous faire ce cadeau, et nous sommes émus de cette attention.
On sait combien lui coûte ce poulet…
Et pour finir sur la même lancée (et après un faux départ d’un jour), on nous offre de nouveau un poulet le dernier soir !
Sans Veg Cripsy, mais avec Whisky et Fanta, c’est la fête!
Le départ est difficile.
Ça fait 6 mois ou 25 ans qu’ils sont en Inde, ils sont papa, vieux, jeunes, grands-parents, ado, amoureux ou futurs papa… Notre cœur s’est encore une fois grand ouvert.
C’était une chouette expérience. Une petite leçon de vie, d’échanges et de partage.
On quitte des gens qui nous ont beaucoup offert et appris, alors qu’ils n’ont pas grand-chose et ne savent pas grand chose…
* Ils viennent des mêmes villages, minuscules hameaux accrochés aux montagnes himalayennes et ils sont fiers de nous montrer les quelques photos qu’ils ont.
On sera rassurés de savoir que tout va bien : familles, maisons, amis. Le tremblement de terre n’a pas eu d’impact chez eux.
Nous étions là lors du second séisme, les voyant tous recharger leur téléphone pour appeler le Népal…
Difficile pour eux d’être loin. Et heureusement encore, quelques fissures dans l’une des maisons, mais rien de grave sinon…
** Ici, nos amis ne gagnent pas beaucoup plus en Inde qu’au Népal (une quinzaine de % en plus si on comprend bien) ; mais ici, ils sont nourris et logés.
Ainsi, Bhawan, à la vaisselle – et en petite main – gagne 3000 Rs / mois
Nos deux copains Krishna et Himal au tandoor sont à 5000 Rs / mois
Gri et Madhav au service sont à 8000~9000 Rs / mois
Prakash en manager pointe à 12000 Rs / mois
Alors qu’en cuisine le Chef est à 15000 Rs / mois (et pourtant, il en glandait pas une, et il finissait souvent ses soirées bourré… C’est peut-être le privilège d’être chef !)
*** Le soir, à la fin du service, les nappes dégueux sont repliées, et on s’en ressert tous les jours. Pas deux ou trois fois, tous les jours. Si vraiment il y a trop de ketchup ou de green sauce des deux côtés, alors seulement on l’envoie au nettoyage… on a vu ça deux fois pendant notre séjour. Sinon, les sous nappes humides sont rangées telles qu’elles en boule, pour le lendemain. Elles sont donc pleine de moisie… mais bon, c’est caché par la surnappe au ketchup, et puis… le soir il fait trop sombre pour voir la saleté…
**** On rencontre à la haveli Stella, une jeune vietnamienne, de passage pour 2 jours. Malheureusement pour elle, alors qu’elle était partie se promener (à midi, alors qu’il n’y a personne sur les routes et dans les villages…), deux mecs lui sont tombés dessus.
Elle a réussi à se débattre, à crier et à s’enfuir…
…
Nous étions tous, Népalais, Indiens et étrangers hyper choqués.
Cette Inde-là existe aussi, et il est très fréquent de voir des articles dans le journal du matin sur des agressions, des guets-apens et parfois des viols de femmes…
…
C’est difficile à écrire (parce qu’on édulcore…) mais ça s’est passé.
Et on continuera aussi notre voyage avec cet évènement en tête.
***** ça y est, on a atteint le top du top de l’acclimatation indienne : on boit l’eau du robinet de la haveli, pas vraiment celle du robinet, celle qui sort du gros tuyau qui remplit la piscine, elle vient du puits, et on nous dit qu’elle est bonne… et ouf ! pas de problème.
…et puis bon, ce n’était qu’ici.
… Mais Amritsar et la suite nous réserve encore de belles surprises !
Preummmmmmmmmms
Ok, maintenant que j’ai tout lu, je peux laisser un vrai commentaire, ou je commente ce que j’ai vu. En fait il y a trop a dire alors je vais aller a l’essentiel: youpi, trop bien de pouvoir vous relire. Vous me manquez. Plein de gros bisous
Ravie de bien vous voir en photo
vous n’avez pas appris beaucoup en hygiène alimentaire mais dans d’autres domaines.
Tant mieux 2 fois puisque vous nous faites partager
Salut les copains !
Aujourd’hui j’ai lu le texte en entier ! Ca à l’air trop chouette votre périple.
A bientôt j’espère
Bisous
Vraiment contente de vous lire enfin et de voir que tout va bien.
Petite info fraiche: je suis de nouveau tata depuis hier!!
Je vous embrasse bien fort
Aaaah, je me languissais ! Je ne suis pas déçu. Belle expérience. En effet le bénévolat pour un patron qui n’est pas dans le besoin soulève toujours des questions métaphysiques. On peut toujours se dire que l’argent qu’il ne vous donne pas est dépensé et participe ainsi à la vie économique et sociale du pays. (Quel magnifique raisonnement, on voit que je suis à mon compte et que je suis passé du côté obscur ;))
Bises
Super experience et tres beau texte.
Idée pour votre retour un resto world food pour mettre en pratique toutes vos expériences culinaires
Je réserve déjà une table
Bises
Trop bien.
J’étais dans le kiffe jusqu’à l’avant dernière note qui m’a bien cassé.
ça fait plaisir de pouvoir à nouveau vous suivre : tout ne fait pas rêver mais c’est le véritable quotidien de ces populations et c’est vraiment génial de pouvoir partager ça avec eux.
PS : vous avez de la chance, Kpou la chèvre est venu vous rendre visite alors qu’en France on ne le voit jamais (il nous fait croire qu’il passe à CdG de temps à autres)
Tres émouvantes vos photos du jour de paie..
bises serge
Oui, c’est bon de vous lire (moi aussi j’ai tout lu!) 🙂 et de vous voir…
Expérience incroyable, une autre vie existe encore, loin, mais pas si loin que ça en fait… peut être proche de la vie qu’on avait il y a quoi, 100 ans ? ou plus ?
Bon, Marion, tu ne restes jamais seule là bas ok ?
Elle a eu bien de la chance Stella finalement…
Des bisous
Ah oui, ça va le vernis à ongles Marion !!!
Quelle coquetterie de coquille… 😉
Entre 2 chaïs… !
Super expérience les amis !
A mettre dans la case Lean Management de votre CV 🙂