Après plusieurs jours au cours desquels les températures s’étaient rafraichies et le ciel s’était couvert d’un bas voile gris, c’est sous un large soleil que nous remontons aujourd’hui sur nos vélos et partons en direction des collines d’Arashiyama – celles de l’Ouest.
Lieu hautement prisé par les touristes du monde entier, Sagano est un quartier résidentiel, dont les maisons ont été investies et transformées en cafés, boutiques et auberges.
C’est surtout un endroit calme, où de nombreux temples sont installés et cachés dans les collines verdoyantes et forêts d’Arashiyama.
Quand on partait de bon matin, quand on partait sur les chemins, à bicyclette…
Nous quittons notre appartement, empruntant les rues calmes de notre quartier.
Que nous soyons en semaine ou en plein week-end, rien ne vient troubler le silence qui règne dans ce damier urbain.
Nous longeons les façades bien propres des habitations, observons les arbres et pots de fleurs, les temples et sanctuaires par lesquels nous passons et saluons les quelques habitants qui croisent rarement notre chemin.
Il est hyper agréable de rouler dans cette ville. Que ce soit pour la qualité du bitume ou du revêtement de la route, la signalétique et le comportement des automobilistes et autres cyclistes. Il n’y a pas de trous dans la chaussée, de vaches sacrées, de klaxons incessants, de vendeurs ambulants ou de travaux en suspens.
Car au moindre chantier, on trouve une paire d’agents de sécurité qui aident à la circulation s’excusant pour le dérangement*. Tout est fluide, organisé et ordonné.
Avons-nous le droit de dire que le chaos, parfois, nous manque un peu… ?
Nous passons par différents quartiers, plus ou moins denses, et aux identités diverses. Des ruelles étroites, nous arrivons sur de larges avenues, sous un viaduc ferroviaire, traversons les rivières rigoureusement canalisées ou les voies ferrées, trains et tramways qui coupent la chaussée dans un balai étudié des barrières automatiques dans le tintement de leurs signaux sonores.
À mesure que nous quittons le « vrai centre » de Kyoto, les quartiers résidentiels prennent des teintes différentes. L’harmonie change, tout comme l’organisation. Les maisons sont plus larges, moins chiches.
Dans les quartiers populaires, les barraques de bois ou de tôles rouillées sont remplacées par des maisons aux façades en PVC.
Au hasard de notre balade, nous tombons sur une rue commerçante, petit centre de ces quartiers en périphérie de la ville. Ici, tout n’est pas fermé et on peut voir trois personnes qui conversent. Cette brève animation nous fait du bien.
Nous roulons toujours plein Ouest, et rejoignons Sagano. Mais une fois encore, en cette période d’hibernation sanitaire, tout est vide, endormi, fermé.
Nos vélos garés au bord d’une grand parking désert, nous nous élançons dans les rues éteintes aux façades de bois sombre et aux arbres trop bien taillés.
Le cadre est joli, propre et bien entretenu, mais il nous manque cette touche d’authenticité qui a tendance à disparaitre lorsque les endroits sont réhabilités à des fins touristiques. D’autant qu’il n’existe plus aucun commerce de proximité, toutes les échoppes étant dévolues aux souvenirs et aux touristes, tout est fermé dans la situation actuelle. Enfin, nous profitons tout de même du lieu, des façades et du morne silence.
Bien évidemment, tous les temples ont aussi leurs portes closes, mais nous bénéficions d’une nature riche en ce début de Printemps. Les arbres sont beaux, grands et d’un vert éclatant, les fleurs sont nombreuses, le ciel est bleu.
La mousse est douce, les ombres chaleureuses. Il est bon d’être là, et de respirer à plein poumons au milieu de cette verdure.
Nous poussons notre exploration en direction de Saga Toriimoto, rue bordée de maisons traditionnelles aux toits de chaume, recouverts de mousse d’un vert frais lumineux et rejoignons le tori, qui marque la limite de la ville.
D’ici, une route s’élance à travers la montagne.
En quelques mètres, le paysage se transforme, comme si nous plongions dans un autre univers.
Nous quittons la ville lumineuse (et aseptisée) pour nous enfoncer sur un chemin qui évolue à travers une dense forêt, dans la pénombre de conifères élancés. L’air se rafraichit, ça sent l’humus et les feuilles.
Les chauds rayons du soleil peinent à s’immiscer parmi les hauts troncs, les sons de la nature se réveillent.
Arrivés au sommet de la montagne, nous bifurquons sur un sentier qui longe la crête, à l’ombre des érables, tout en nous offrant un panorama de choix sur la vallée nous faisant face.
En contrebas, les eaux turquoise de la rivière Katsura sinuent à travers les pans arborés des collines qui l’entourent.
C’est étonnant comme la frontière entre la nature et la ville est radicale dans ce pays.
Face à nous se tient le fleuve qui évolue dans un cadre sauvage, protégé parmi les montagnes vertes qui s’étendent à perte de vue. Ce paysage nous fait oublier que quelques centaines de mètres en arrière se tient un rigoureux quadrillage urbain.
Nous savourons notre promenade dans les bois, toujours sous les pins aux pieds desquels les fougères déploient leur crosse et leur ramure aux allures préhistoriques. Nous nous sentons loin…
En repassant sur l’autre versant de la montagne, le paysage se réurbanise progressivement.
À l’Est s’étend le quartier de Saga, les cultures maraichères et les quelques plans d’eau aux pieds des collines. Puis la ville s’étoffe et s’étale dans l’axe de l’avenue rectiligne et de la voie ferrée qui dessert cette région auparavant rurale. La cité devient de plus en plus dense à mesure qu’elle s’éloigne vers l’horizon. Une poignée d’immeubles de grande hauteur se dresse alors.
Le petit sentier forestier nous ramène au pied de la colline, à l’orée de la bambouseraie d’Arashiyama, autre lieu incontournable du Japon.
À notre grand bonheur, nous sommes seuls à arpenter cette perspective bordée d’immenses bambous, et écouter le grincement des troncs qui dansent et s’entrechoquent en de longs mouvements sous le souffle du vent.
Nous remontons sur nos vélos et rejoignons la plaine à travers les champs et les potagers du quartier.
À mesure que l’heure avance, nos ombres s’allongent progressivement, et nous sommes de retour dans les ruelles quadrillées de la ville au moment où les lumières orange éclairent notre route.
Une fois encore, nous sommes chanceux d’avoir Kyoto pour terrain d’exploration et de découverte. De profiter du Japon de cette façon, en prenant le temps de nous perdre dans les innombrables chemins et sentiers.
Nos journées bien remplies s’enchainent. Nous profitons de notre appartement, du salon et pour prendre le temps. Nos leçons de japonais s’améliorent (sensiblement), nous nous sommes lancés dans des cours en ligne. Marion s’est prise de passion pour la paléoanthropologie et Brice décrypte le langage indéchiffrable de la programmation informatique. Nous cuisinons et lisons, nous nous cultivons et nous relaxons. Étonnamment les journée passent très vite. Et puis nous sortons, à pieds ou à vélo, dans toutes les directions. Notre quartier nous est devenu familier. Nous reconnaissons les maisons, les échoppes, les vitrines. Nous connaissons les heures d’affluence du supermarché et où trouver des oranges non emballées (sur le parvis d’une maison devant laquelle nous sommes passés, par hasard, une table recouverte d’orange est installée. On met alors l’argent dans une caisse, et hop, on repart avec un panier d’orange. La confiance est de coutume ici. Tout comme le manque d’interaction).
Petit à petit, nous prenons nos habitudes.
Nous sommes le 21 Avril. Et il se trouve qu’un festival a lieu le 21 de chaque mois au temple bouddhiste shingon To-ji. C’est ainsi l’occasion de visiter ce temple fondé en 823 par le moine Kukai, et d’y croiser peut-être une poignée de japonais, échanger des regards et se saluer. Le contact humain nous manque.
Le temple To-ji est lui aussi inscrit à sur la liste de l’UNESCO. Sur la façade entourant l’un de ses bâtiments, 88 autels représentent les différents sanctuaires du pèlerinage de Shikoku.
Le pèlerinage originel de Shikoku, appelé ohenro en japonais, est un circuit de 1100 km à 1400 km reliant 88 temples, disséminés sur l’île de Shikoku, île natale du moine Kukai. Il s’agit alors de marcher sur les pas du moine fondateur de l’école Shingon, qui a pratiqué son sadhana – chemin spirituel – le long de ce parcours.
Il est divisé en quatre parties correspondant aux quatre préfectures de l’île, à savoir Tokushima, le « chemin de l’éveil » (temples 1 à 23), Kôchi, le « chemin de l’ascèse » (temples 24 à 39), Ehime, le « chemin de l’illumination » (temples 40 à 65) et Kagawa, le « chemin du nirvana » (temples 66 à 88).
Aujourd’hui, nous choisissons la facilité et faisons simplement le tour du temple, tout comme une poignée de dévots qui prient devant chaque autel.
Aucun festival n’est finalement organisé en cette période. Nous déambulons tout de même à travers le complexe calme, et profitons du passage solennel des moines traversant fugacement la cour en rang d’oignons, de la pagode à cinq étages ou des différentes architectures qui composent le temple.
Dans la suite de nos explorations des lieux de culte, fermés mais qui n’en demeurent pas moins paisibles et spirituels, une nouvelle escapade nous mène au Nord-Ouest à Myoshin-ji et son dédale d’allées pavées, qui serpentent à travers un vaste complexe de 47 temples, jardins, et bâtiments religieux de l’école zen Rinzai.
Nous en profitons pour glisser nos yeux à travers les lourdes portes en bois, les interstices et les barrières d’arbustes avant de contempler les jardins bien ordonnés et les parties cachées de temple. On ne pourra pas voir le jardin zen, aux cailloux bien alignés, ratissés et arrangés, ni les cascades ou peintures anciennes, mais notre promenade solitaire au sein de ce lieu dédié à la méditation et contemplation est paisible, détendue et agréable.
Le temple de Ninna-ji, inscrit dans la lignée architecturale des palais impériaux – le temple avait été commandé par l’empereur Uda au IXème siècle – occupe un vaste espace entouré d’une myriade de petits sanctuaires annexes qui occupent le jardin.
Au pied de la colline sur laquelle le temple est adossé se dessine un chemin que nous rejoignons au hasard.
Il s’enfonce dans l’ombre de la forêt, grimpant sur les versant Sud de la montagne.
Ponctué de 88 petits temples, ce chemin de pèlerinage fait écho à celui de Shikoku – et au temple To-ji décrit plus tôt.
Ainsi, contents de partir en randonnée, en forêt, nous passons les sanctuaires les uns après les autres, faisant tinter le bol chantant qui jouxte l’idole de chacune des simples structures de bois.
Notre pseudo pèlerinage nous mène au sommet de la colline pour bénéficier, une nouvelle fois, d’un panorama sur la ville bordée de part et d’autre des montagnes vertes.
La beauté du voyage tient pour beaucoup aux rencontres que nous y faisons. Il nous est arrivé quelques fois, au cours des dernières années, de recroiser des personnes rencontrées dans un autre pays, ailleurs, avant.
Nous avions revu Takahiro en Chine quelques années après l’Iran et l’Ouzbékistan. Nous avions retrouvé Mirko et Katjia à Kathmandu, à plusieurs milliers de kilomètres d’Islamabad.
Ainsi, grâce à la magie de Facebook, nous avons réalisé que Damien, un copain rencontré à ZhangYe en Chine il y a 6 ans, est au Japon depuis quelques mois.
Nous le retrouvons par un dimanche gris, quelques jours avant son retour en France, une chouette après-midi en bonne compagnie. Balade, petit resto’ de nouilles et sake, temples et partage de nos derniers voyages et de sa longue expérience.
Cette interlude de sociabilisation nous fait beaucoup de bien.
Le soir venu, en voulant récupérer nos vélos que nous pensions avoir bien garés, ces derniers ont un énorme cadenas à la roue. Bloqués.
Un peu contrariés, nous passons au koban voisin, où les flics nous pointent du doigt un large panneau sur lequel le proprio’ « du mur » a écrit qu’il est interdit de se garer ici, sous peine de 5000¥ d’amende – le tout en japonais.
Voilà voilà.
Il est tard, et le contact pour résoudre le problème ne répond pas. Nous rentrons à pied, tout penauds.
Nous passons la soirée à cogiter, tentant de trouver une solution. 10000¥, 85€ – plus cher que les vélos.
Non, on ne va pas faire ça.
C’est ainsi, que le lendemain, frais et déterminés, nous partons nous installer, les genoux dans le nez, au pied des vélos et des cadenas. Et commençons l’interminable tour de roue des chiffres. Brice démarre à 0000, 0001, 0002, …. Marion en marche arrière 9999, 9998, 9997, …
2h durant et des ampoules aux pouces plus tard, l’antivol s’ouvre. 5777 ! Victoire ! Nous libérons à la hâte nos vélos (les deux cadenas, comme la dizaine le long du mur, partagent la même combinaison !). Dans un élan de Robin des Villes, nous détachons également un scooter et un autre vélo, entravés eux aussi, et quittons les lieux épuisés nerveusement par ce challenge.
Cela fera bien rire nos hôtes deux jours plus tard quand nous les invitons à diner à la maison.
Une journée sans nuage nous conduit à rejoindre les abords de Kinkaku-ji, le Temple d’Or. Nous ne sommes pas certains qu’il soit ouvert, mais c’est une bonne excuse pour visiter cette zone excentrée au Nord-Ouest de la ville.
Une fois de plus, cette balade nous permet de traverser les quartiers périphériques aux identités bien différentes du quartier dense dans lequel nous vivons.
Nous nous sentons bien loin de la ville dans ces ruelles tranquilles. Une balade dans les montagnes nous conduit sur des sentiers de terre à flanc de colline, où nous nous perdons dans une forêt de fougères et d’épines. Mais nous sommes ravis de voir en arrivant au temple qu’il est ouvert… et que l’immense parking est désert**.
Kinkaku-ji était auparavant la demeure du Shogun Ashikaga Yoshimitsu qui à sa mort, en 1408, la légua à la secte bouddhiste zen Rinzai.
Comme souvent avec les structures en bois au Japon, le temple a été plusieurs fois détruit, dont la dernière remonte à 1950 quand un moine fou d’amour pour la construction, l’incendia.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas plus de cinq joyeux à déambuler dans les jardins.
Nous avons toute liberté pour contempler le reflet du temple dans le miroir de l’étang qu’il domine.
Les façades de deux étages sont recouvertes de feuilles d’or qui contrastent avec les deux rangés de toits de tuiles noires. Au sommet se dresse un fenghuang doré (phénix chinois).
Dans le bassin et ses alentours, les nombreux rochers et pierres formant des îlots, sont des cadeaux des seigneurs de chaque province (les daimyo) au Shogun. Les arbres sont taillés et contraints dans le plus pur style japonais. Parmi les bâtiments annexes, celui du grand prêtre est entouré d’un jardin de graviers ratissés.
Nous avons tout le plaisir de faire des croquis et profiter du parc avant de nous mettre en selle et de retraverser la ville baignée dans la lumière de fin de journée printanière***.
Il est bon de prendre le temps.
‘* Ce sont souvent des personnes âgées qui occupent ce genre d’emploi ingrat, tout comme on voit souvent de vieilles mamies à la caisse des supermarchés. On se dit que la protection sociale doit être ténue dans ce pays, à moins que ça ne soit le besoin de se sentir utile dans la société ? ou les deux.
** Le Temple d’Or est l’un des sites les plus visité de Kyoto.
Au guichet à l’entrée, on trouve une file pour les particuliers, et une autre réservée au groupe… de plus de 30 personnes !
L’angoisse !
*** Il n’est pas rare que nous fassions plusieurs dizaines de kilomètres par jours sur nos mamachari.
Ces vélos de conception simple sont systématiquement équipés de panier et souvent de sièges pour les enfants et font partie du paysage urbain japonais.
Les déplacements à vélo sont communs et facilités par la sécurité de la circulation, et le fait qu’il n’y a quasiment pas de vol au Japon – l’antivol est facultatif. Il n’est pas rare que les usagers laissent deux-trois affaires dans leur panier quand ils garent leur monture le temps d’une course.
Note – il est courant de trouver des mots ou phrases, titres et enseignes écrits en français, dont les traductions sont, disons, approximatives.
On appelle ça le franponais, combinaison de français et japonais.
Voici donc quelques-unes de nos trouvailles, mais la liste est longue.
Nous avions vu un salon de coiffure dont le nom était « Purée de fleurs », ou ce dernier qui s’appelle « Gras ». Bien trouvé!
J’ai peur du fantome.
…..ou le bonheur du confinement.!!! Merci encore pour ces moments de partage. Nous avons toujours l’impression d’être à vos côtés. . ppf.
Que bonita la naturaleza !
Tout cela a porter de quelques coups de pédales, c’est quand même extraordinaire.
Ne me dites pas que vous avez essayer 4222 combinaison pour pouvoir ouvrir le cadena ???!!!
Vous êtes définitivement mes héros 🙂 🙂
Bisou à nos paleoanthropologue et codeur préférés.
Brice est parti de 0000, 0001, 0002… Et moi de 9999, 9998, 9997… Donc oui, on a tout essayé, un à un!